Homélie pour le 14ème dimanche ordinaire A

Je ne sais pas si vous avez été attentifs à la formule choc que prononce Jésus dans l’évangile de ce dimanche et qui m’a en tout cas posé question: « Personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils… », ce qui signifie en termes clairs : « Circulez, ‘y a rien à voir » ou pour être plus précis : « ça ne vous concerne pas. Vous n’êtes ni le Père, ni le Fils ! et vous ne connaîtrez jamais ni l’un ni l’autre » ! Mettez ça dans votre poche et votre beau mouchoir du dimanche par-dessus. Mais… mais… car avec Jésus, il y a toujours un « mais », il rajoute : « sauf, celui à qui le Fils veut le révéler. » Et qui sont-ils ces veinards de l’évangile, qui auront droit d’accéder à la parfaite révélation ? « Les tout-petits et vous tous qui peinez sous le poids du fardeau ». Bref, Jésus nous sauve la mise, car d’une manière ou d’une autre, au cours d’une vie, quelle qu’elle soit, nous entrons dans cette catégorie-là, excepté les gonflés d’eux-mêmes, « les rois du pétrole », les « premiers de la classe » et ceux qui n’ont besoin de personne.

Mais pour en revenir à l’essentiel du message de ce jour, juste avant ce passage d’évangile de ce dimanche, Jésus vient d’essuyer un échec, et, loin de se laisser décourager, il proclame la bonté de Dieu. C’est peut-être pour nous l’occasion de demander au Seigneur de nous apprendre le secret pour transformer en positif tout le négatif de nos vies. Le fardeau qui devient léger, le joug qui est facile à porter, c’est Jésus qui promet à ceux qui peinent un peu de soulagement. Est-ce que ça veut dire que les chrétiens seraient épargnés ? Qu'ils passeraient à côté des épreuves inévitables de la condition humaine ? Nous savons bien que non ! Et pourtant l'expérience des saints et de beaucoup de chrétiens solides est là pour nous montrer que la promesse de Jésus est vraie. La foi en Jésus ne supprime pas les souffrances de la terre, les fardeaux ne sont pas retirés de nos épaules, et pourtant, par je ne sais quelle transfiguration, quand ils sont tournés vers le Père, ils deviennent plus supportables.

« Devenez mes disciples, nous dit Jésus, car je suis doux et humble de cœur. » Aujourd'hui, toute la société exalte la force et le clinquant de l'apparence facile. La publicité exalte les réussites et les stars. Douceur et humilité sont des valeurs en baisse à la Bourse de l’humnaité. Or Dieu, lui, est fier, par la bouche de Jésus, de se définir non pas comme puissant mais comme « doux et humble ». Et un tout petit brin de réflexion nous amène à vérifier la vérité de cette parole évangélique : le doux n'est pas d'abord un amorphe, un incapable... c'est le fort, capable de dominer ses réflexes face aux violences et agressions quotidiennes. Quant a celui qui joue au « gros dur », n'est‑ce pas lui qui est incapable de se maîtriser ?

« Ce qui est caché aux sages et savants est révélé aux tout‑petits ». Cette petite phrase est au cœur de la prière de louange de Jésus. Ici les contrastes sont pour ainsi dire redoublés. Jésus oppose les sages et les savants aux gens simples et petits. Et il oppose ce qui est caché à ce qui est révélé, comme l'avait déjà chanté Marie : « Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. » Ainsi l'hymne de jubilation de cet évangile est une sorte de « Magnificat de Jésus », c'est la joie d'un Dieu, qui prend le parti des pauvres, des petits, des faibles... ceux que le monde néglige et méprise habituellement. Et là encore il suffit de réfléchir un tout petit peu pour nous rendre compte que l'orgueil de l'esprit est le pire ennemi de l'intelligence. Celui qui croit savoir est définitivement fermé à tout progrès. Ce n'est pas une condamnation de l'intelligence ou de la science ; c'est la révélation de sa loi la plus profonde. Jésus distingue deux catégories de gens : ceux qui sont bloqués sur leur point de vue personnel et qui n'admettent plus la nouveauté de Jésus Christ... ceux que leur simplicité de cœur rend capables d'accueillir une nouvelle manifestation de Dieu. Effectivement, au temps de Jésus, les scribes, les pharisiens, les prêtres, tous les spécialistes de sciences théologique et exégétique, se sont renfermés dans leurs interprétations de l'Écriture. Et ce qui leur restait caché se révélait au contraire aux tout‑petits. Attention de ne pas nous aussi dans l’Église tomber dans ce travers. Oui, Jésus a vraiment beaucoup de merveilles à nous révéler, si nous sommes assez ouverts et humbles, sans nous bloquer sur nos soi‑disant évidences.

 

Homélie pour le 12ème dimanche ordinaire A

Avec l'Evangile du jour, nous assistons à une séance de formation des Apôtres par le Christ‑enseignant. Formation aux ministères, sans paperboard, ni fiches photocopiées, ni PowerPoint.

Et ce matin‑là, en reprenant le travail, Jésus voit que les disciples font une tête maussade. L’enthousiasme ne semble pas au rendez‑vous. Et la raison est simple : la veille, Jésus les a tous un peu refroidis, en leur annonçant qu'ils auraient à connaître de dures persécutions. Et même si Jésus, pour les rassurer, leur a laissé entendre qu'il les accueillerait au soir de leur martyre, la perspective de ce qui les attend ne les emballe pas vraiment ! Alors Jésus déclenche l'opération re‑motivation. Oui, halte à l'appréhension et place totale à la confiance.

A trois reprises le Christ répète le « Ne craignez pas » rassurant.

‑ Oui, osez dire votre foi. Et cette consigne s'adresse et aux apôtres et à nous‑mêmes.

‑ D'ailleurs, qu'avez‑vous tellement à craindre ? nous dit Jésus.

Ne craignez réellement que ceux qui tuent l'esprit : ceux qui tueraient votre dynamisme ; ceux qui tueraient votre confiance en Dieu et en votre action ; ceux qui tueraient votre foi ; ceux qui vous feraient perdre votre dignité.

‑ Soyez fiers de votre foi, heureux d’être chrétiens.

Oui c’est vrai, la foi, aujourd’hui ne va pas forcément de soi.

Et pourtant que de raisons de garder espoir et d’être fiers de sa foi : Ne sommes‑nous pas porteurs d'un message merveilleux ? nous sommes mis dans le secret du plan de Dieu ! Nous connaissons, comme dit st Paul, son extraordinaire dessein d'amour sur le Monde. Nous sommes "mis au parfum" de ce mystérieux projet divin prévu dès le commencement du monde : faire de la terre le chantier où vont s'enfanter les fils de Dieu de l'éternité.

Alors que tant d'hommes aujourd’hui se demandent bien ce qu'ils font sur la planète terre et quel est le sens d'une vie dans laquelle ils ont été jetés, nous avons la chance d’avoir les lumineuses réponses de l’Evangile aux interrogations les plus essentielles.  Quelle science, quelle idéologie, quelle philosophie peuvent apporter réponses satisfaisantes aux grands pourquoi de la destinée humaine ? Elles sont bien en panne sèche d'explications solides ! Et nous savons que dans nos interrogations restées sans réponse, non seulement Jésus nous accompagne, mais il nous précède, et de toute façon, nous fournira dans l'éternité les confirmations définitives. Tout ce qui est caché sera dévoilé.

A tous ses apôtres comme à tous les chrétiens apeurés devant l'hostilité possible du monde, Jésus prêche inlassablement la confiance avec des images fortes et parlantes. Rendez‑vous compte ! Dieu a compté chacun de vos cheveux, et pas un ne tombe sans sa permission ! et les chauves pourront vous dire combien ça suppose de permissions données ! Autrement dit : vous avez du prix aux yeux de Dieu. Vous avez pour lui une valeur infinie.

Chaque être humain est unique au monde. Unique par son corps, ses formes, ses traits, sa voix, son odeur, ses caractéristiques. Unique par ses gènes et son hérédité. Unique par son histoire. Unique par sa façon de percevoir le monde, de ressentir, de désirer. Chaque être humain, parce qu'il est une personne, est un monde à lui tout seul, et donc irremplaçable : c'est surtout vrai aux yeux de Dieu, qui voit en chaque homme et son image et le frère de son Fils. Heureux sommes-nous d’être quelqu’un qui compte pour Quelqu’un !

Homélie pour la Pentecôte

J'ai envie de dire Bon anniversaire. À qui ? Mais à cette vieille dame de deux mille ans, l'Église de Jésus-Christ, née du souffle de l'Esprit un certain jour de Pentecôte. Toi, notre Église, vieille dame de deux mille ans, portant bien sûr, quelques rides et quelques tâches sur ton vêtement. Toi, pourtant toujours capable de renouveau, toujours jeune quand tu te laisses porter par le souffle de L'Esprit de Celui qui ne vieillit jamais, puisqu'il possède l'éternelle jeunesse de Dieu. Toi, notre Église si souvent critiquée aujourd'hui (et parfois critiquable), comme nous aimerions être les témoins d'une nouvelle Pentecôte. L'Église a besoin de foi dans son cœur, de paroles dans sa bouche, de prophéties dans son regard. Oui, nous appelons aujourd'hui de tous nos vœux l'Esprit dont la spécialité justement est de susciter des battants et des commu­nicants, bref des missionnaires. Nous avons besoin d'une Église vivante et communica­tive. Ce matin de la première Pentecôte chrétienne, ils étaient là, les onze rescapés de la passion, verrouillés, brebis sans pasteur. Et tout à coup, les fenêtres claquent, les portes grincent sous la poussée d'un vent violent. Et là des flammèches de feu les pénètrent au plus profond d'eux-mêmes. Et voilà qu'aussitôt, les timorés deviennent téméraires, les poltrons d'hier deviennent risque-tout, les couards deviennent intrépides, les découragés deviennent enthousiastes, les agoraphobes ouvrent grandes les portes et descendent sur les places publiques. Et ils parlent. Et cet Esprit est terriblement dérangeant, déconcertant et insaisissable, comme le vent. Il peut être vent violent ou doux zéphyr, brise ou bise puissante. Il est ce feu qui dynamise et fait décoller, en ce jour de Pentecôte, la fusée-Église, mais il est aussi rosée et douce fraîcheur au fond des cœurs. Mais direz-vous, tout ça, c'était « dans le temps ». Où voyez-vous souffler aujourd'hui l'Esprit de Dieu ? Le vent s'est bien calmé. Et dans l'Église, Esprit es-tu là ? L'Église n'a plus la côte, la pratique religieuse est en chute libre. Les jeunes désertent les églises. Et pourtant le St-Esprit n'est pas à bout de souffle. Le St-Esprit est facétieux : Il est présent dans tous ces rassemble­ments de jeunes chrétiens, comme les Journées Mondiales de la Jeunesse. Mais sans aller si loin, le St-Esprit est présent chez tant de laïcs qui aujourd'hui se lèvent et prennent le relais des prêtres trop peu nombreux. Il est présent chez tant de jeunes, qui, même s'ils sont minoritaires, demandent, consciemment, volontairement, librement, le sacrement de confirmation. Alors halte à la frilosité. Le St-Esprit est « plein d'esprit », plein d'humour. Il a l'art de surprendre, parce qu'il est celui qui fait entrer la nouveauté dans le monde. Il a plus d'un tour dans son sac, et c'est quand tout semble perdu que soudain jaillit une pousse nouvelle porteuse d'espérance. Il a l'art de susciter une méthode nouvelle d'évangélisation. Il a l'art de nous remémorer les paroles de Jésus, pour leur conférer chaque fois une résonance nouvelle. Halte à l'attitude défensive. Ayons une confiance éperdue dans l'avenir, puisque la grâce de l'Esprit nous y précède. Le N'ayez pas peur du Christ pascal est-il vraiment intégré dans notre foi ? Ce n'est pas le souffle de l'Esprit qui manque à la barque de Pierre, ce sont les hommes qui oublient de hisser les voiles pour accueillir cette force divine. Ce qui frappe le jour de la première Pentecôte, c'est de voir au moins pour une fois, des sermons écoutés et compris, car les apôtres savent tout à coup parler aux foules, ils trou­vent le langage qui touche les cœurs. Et le comble, c'est que la foule est composite, ils viennent des bleds les plus divers, aux noms inconnus et difficiles à prononcer par les lecteurs de l'Épitre ! Ils parlent des langues différentes, et pourtant tout le monde comprend. À la limite pas besoin de parole, leur visage était illuminé par une présence. L'amour qui éclatait dans leurs yeux avait-il besoin de mots ? Ceux qui s'aiment ne se comprennent-ils pas d'emblée ? Les apôtres étaient des évangélisations vivantes. Ils étaient remplis, enivrés de la joie, car l'Esprit est la Joie. Là encore, où est donc le grand communicateur, l'Esprit-Saint, dans l'Église actuelle ? Les chrétiens ne sont-ils donc pas animés de cet Esprit d'amour et de commu­nication, qui leur suggérera de trouver les mots appropriés pour réconcilier l'Église et la modernité ? Les chrétiens ne sont-ils pas les relais de base qui rétablissent le courant qui ne passe plus, qui traduisent aux hommes qu'ils rencontrent le message incompris de l'Église ? Quelle tâche magnifique d'aider les prêtres, les évêques qui reconnaissent ne pas pouvoir trouver toujours les mots justes pour porter aux hommes un message qui soit de compréhension et d'exigence. Quel merveilleux travail d'unité peut être entrepris au niveau d’une paroisse pour que les chrétiens commencent par chercher ensemble les paroles heureuses que réclame un monde débous­solé, au lieu de foncer tête baissée, chacun selon sa sensibilité, dans des prises de position hâtives et simplistes. Prions donc Dieu de graisser notre girouette afin qu'elle s'oriente au vrai vent de l'Esprit, et ne reste plus calée par la rouille des vaines habitudes. Halte à la morosité : de toute façon, nous ne parviendrons jamais à lasser l'Esprit-Saint. Demain, le positif prévaudra. Comme lui, ayons confiance dans l'homme d'aujourd'hui. Ayons confiance dans les jeunes de demain. Ayons confiance en tous ceux qui croient que l'amour aura le dernier mot.

Homélie pour le 4ème dimanche des vocations

Le bon pasteur n’entre pas dans la bergerie en escaladant la clôture et en fracturant les entrées. De même, le Christ n'entre pas par effraction dans les cœurs : il respecte la liberté de chacun. Il frappe à la porte, et n'ouvre que si l'on répond "entrez". « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui » nous rappelle le livre de l’apocalypse. On n'oblige pas une brebis à aimer. En ce jour où l'Église prie le Seigneur de donner des vocations, prêtres, religieux, religieuses à son peuple, demandons‑lui un évêque pour notre diocèse, des prêtres, des religieux, des religieuses qui soient, à l'image du Bon Pasteur, infiniment respectueux des consciences et du lent travail de la grâce dans les cœurs. Le bon pasteur appelle chaque brebis par son nom. Le Christ connaît chacun de nous. Il a pour chacun de nous le cadeau personnalisé d'une grâce spéciale. Nous ne sommes pas à ses yeux un numéro, un objet de série, mais un être unique et irremplaçable. Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Des prêtres, des religieux et des religieuses qui donnent leur vie, il y en a. Chaque année, l'Église a son lot de prêtres ou de religieuses assassinés. Donner sa vie aujourd'hui, ce n'est pas tant verser son sang pour le Christ que lui donner chaque minute d'une vie qui peut être longue, et si possible, chaque atome de son cœur. Ne nous y trompons pas : si, de nos jours, l'Église demandait à des jeunes de donner, deux, trois, voire dix années de leur vie pour se consacrer à la prêtrise, il est certain que nombreux seraient ceux qui répon­draient à un appel. Mais le Seigneur ne veut pas à son service des businessmen intérimaires, de ceux qui s’engagent à la petite semaine, des CDD sans lendemain, mais de ceux qui mettront les mains à la charrue sans plus jamais regarder en arrière. Sera-t-il dit que des jeunes de chez nous ne seront pas assez enthousiastes pour dire à Dieu le « toujours » de l'amour malgré notre société du paraître ou il faut posséder, que ce soit des biens ou des personnes, surtout dans ce monde hyper matérialiste et hyper sexualisé envahissant ?

Nous vivons dans une situation de l’immédiateté du « tout et du tout de suite ». Le temps du désir est réduit comme peau de chagrin. La patience n’est plus une vertu mais une verrue. « Je veux ça et je l’aurai ». « Je veux tout de suite des réponses à mes questions. » Drame de notre histoire humaine et de notre liberté offerte face à un projet de Dieu qui demande du temps. Le paysan ne tire pas sur la tige nouvellement levée pour qu’elle pousse plus vite. Il accepte les aléas de la maturité nécessaire et de la météo incertaine. Le jeune homme riche de l’évangile a reculé devant une promesse de fécondité extraordinaire et d’un amour fou. Il portait en lui une vocation particulière à suivre le Christ. Le renoncement demandé lui a fait peur. Il s’en retourne tout triste avec au fond de son cœur le regret de n’avoir pas pu ou su répondre au regard aimant du Christ. Il n’aura pas su choisir. Il n’y a pas de vie chrétienne qui ne commence par un choc : la rencontre avec Lui. Nous avons pu être attirés par la religion, la beauté de ses cérémonies, la qualité de sa morale, l'amitié de chrétiens solides, mais tant que nous n'avons pas buté sur la personne de Jésus, nous sommes encore à côté de l'essentiel. Nous n'avons pas trouvé la porte ! Poussons donc plus souvent la porte de l'Evangile et essayons de nous trouver nez à nez avec le Bon Pasteur. Prenons la peine de le suivre pour mieux le connaître, et un jour, éblouis, nous jeter dans ses bras. On pourra dire tout le mal qu'on voudra des prêtres, des religieux ou des religieuses, et certains, de fait, ont failli à leur engagement, mais pour ceux qui y sont fidèles, il y a une dimension de leur vie qui n'est pas sans grandeur : c'est qu'elle est consacrée à Dieu et aux hommes jusqu'à leur mort. Donner sa vie, ce n'est pas seulement mourir de mort brutale pour une cause, c'est, dans la fidélité d'un choix, la donner au goutte à goutte, comme une perfusion d’amour. Chaque vocation est noble et belle, qu’elle soit en vue du mariage, ou plus particulière. Il n’y a d’ailleurs pas de hiérarchie. Ce qu’il faut c’est qu’elle soit acceptée et vécue dans une liberté totale et un choix définitif. Le philosophe Alain le dit lui-même :

« Nul ne choisit d'aimer, ni qui il aimera ; la nature fait le choix. Mais il n'y a point d'amour au monde qui grandisse sans fidélité ; il n'y a point d'amour qui ne périsse par l'idée funeste que le choix n'était point le meilleur. Je dis bien plus ; l'idée que le choix était le meilleur peut tromper encore, si l'on ne se jette tout à soutenir le choix. Il n'y a pas de bonheur au monde si l'on attend au lieu de faire, et ce qui plaît sans peine ne plaît pas longtemps. Faire ce qu'on veut, ce n'est qu'une ombre. Être ce qu'on veut, ombre encore. Mais il faut vouloir ce qu'on fait. Il n'est pas un métier qui ne fasse regretter de l'avoir choisi, car lorsqu'on le choisissait on le voyait autre ; aussi le monde humain est rempli de plaintes. N'employez point la volonté à bien choisir, mais à faire que tout choix soit bon. »

Homélie pour la Vigile pascale

Deux femmes, un ange, des gardes et Jésus. Voilà les premiers acteurs de l’évènement Résurrection et un décor un peu particulier : une pierre ronde roulée de côté pour laisser entrevoir un tombeau vide. Rien d’autre, sinon quelques effets spéciaux : un tremblement de terre et la descente d’un ange plus blanc que blanc. Et pourtant, c’est sur cette brève histoire hallucinante que toute notre foi va reposer. Alors évidemment, il y a de quoi la démonter, la critiquer pour ne pas y croire. Depuis plus de deux mille ans maintenant, on continue à affluer au saint Sépulcre de Jérusalem pour voir ce tombeau vide. Depuis plus de deux mille ans, on continue à célébrer chaque année cet évènement qui n’a aucun sens, qui n’est pas de l’ordre de la raison, et on s’accroche à cette idée de résurrection parce qu’on se dit tout de même comme dans les belles histoires qui finissent bien, que ça vaut la peine de penser qu’après la mort, il y aurait une autre vie. Et comme dirait le chanteur Renaud : « Je ne crois pas en Dieu, mais je fais gaffe quand même ! ». Cependant, dans nos sociétés sécularisées, et notre monde scientifique qui veut tout expliquer, ces quelques lignes d’Évangile que nous venons d’entendre ne tiennent pas la route. Et Michel Onfray a beau jeu d’écrire dans son dernier livre « Décadences » la vie et la mort du judéo-christianisme. Et quelques politiques et intellectuels de nous répéter à l’envie que puisque tombeau vide il y a, on a qu’à nous y enfermer et bien rouler la pierre sur l’entrée afin de ne pas exprimer notre foi dans le domaine public, puisqu’une nouvelle déesse prénommée laïcité impose sa loi et ses dogmes. Alors, serions-nous ce soir, en cette vigile pascale, des illuminés en manque de contes et légendes ? Si nous sommes là ce soir, plutôt que devant « The Voice », c’est sans doute qu’une autre voix, bien plus clair et forte nous a invités à venir jusqu’ici et devant laquelle nous nous sommes retournés. Cette voix, c’est celle de Jésus qui nous dit comme à ces deux femmes complètement apeurées, « je vous salue », « soyez sans crainte ». La voilà la pointe de ce récit évangélique, la clé de notre présence ici et dans le monde. « Soyez sans crainte » ! le mot « crainte » apparait 4 fois dans la vingtaine de lignes de cet évangile pascal. D’abord avec les gardes qui sont dans la crainte en voyant l’ange assit sur la pierre. On peut les comprendre. Ensuite, c’est l’ange lui-même qui dit aux femmes : « vous, soyez sans crainte » ce qui ne les empêche pas de quitter le tombeau toutes remplies de crainte. Il faudra que Jésus intervienne enfin pour leur dire : « soyez sans crainte. » Bref, n’ayez pas peur ! allez annoncer à mes frères qu’ils me verront ! et depuis cet instant-là, Jésus ne cesse ne nous redire la même chose : « soyez sans crainte, allez annoncer ! débarrassez-vous de vos peurs, de vos aprioris, de vos doutes, de vos certitudes mathématiques, parce qu’une seule chose compte : c’est l’amour qui fait croire, car aucun signe, même un tombeau vide n’est capable de donner la foi. Aucun signe n’est absolument contraignant. Il faut dépasser le voir pour croire. À celui qui n’est pas amoureux, le bouquet de fleurs peut ne rien dire. Nous non plus nous ne voyons jamais au sens strict, l’amour de ceux qui nous aiment. Nous n’en avons que les signes, qui nous conduisent à croire. Mais ce sont des signes ambigus et fragiles, qui ne dévoilent leur signification qu’à ceux qui savent les déchiffrer. C’est ce qu’il y a d’émouvant dans toute rencontre humaine. Nous avons tous fait, un jour ou l’autre, l’expérience cruelle d’avoir fait un signe qui n’a pas été compris, qui a été mal interprété… Il faut infiniment d’amour entre deux êtres pour que les messages échangés soient perçus dans toute leur signification. Si les femmes ont cru, si les apôtres ont cru, si les saints ont cru, si nos ancêtres ont cru, c’est qu’ils aimaient ce Jésus qui leur disait : « soyez sans crainte. Allez annoncer que je suis ressuscité ! » Si les faits ne suffisent pas à donner la foi, on peut dire aussi que l’amour ne suffit pas à interpréter les faits. Il y a un petit « plus », un impondérable comme on dit parfois, qui vient s’ajouter à ces faits visibles comme le tombeau vide. Les signes ne sont vraiment compris que lorsque les témoins se laissent conduire par l’Esprit de Jésus et sa Parole inscrite dans les Écritures. Alors, ne vous laissez pas enfermer dans le tombeau. Sortez, levez-vous et annoncez. Ne roulez pas la pierre devant le cœur de votre foi. Soyez sans crainte, n’ayez pas peur, allez annoncer la joie du ressuscité à ceux qui vous entourent, au monde qui désespère de trouver un homme ou une femme providentiel. Vous l’avez trouvé cet homme-là. Il se présente à vous avec un programme qui tient en huit béatitudes et en un seul slogan : RESSUSCITE !

Homélie pour le 2ème dimanche de Carême

Dimanche dernier, nous avons vu Jésus sous son aspect le plus humain. Il était tenté, comme chacun de nous, de faire des choix contraires à sa vie de Fils de Dieu. Et il a refusé, comme une tentation diabolique, de manifester sa divinité à son profit en restant un homme ordinaire qui éprouve la faim et subit la condition humaine sans aucun privilège protecteur. En ce deuxième dimanche de Carême, nous contemplons Jésus en son aspect divin : à travers son corps d'homme une lumière divine transparaît et nous annonce que notre pauvre humanité, vouée à la mort, est destinée à une transfiguration. Beaucoup de Français se disent « croyants non pratiquants ». Quand on leur demande de préciser leur pensée, ils disent : « Mais je crois en Dieu ! » Le grand dommage, c'est que cette croyance‑la n'a absolument rien de chrétien. Croire en Dieu n'est aucunement spécifique des baptisés (Les juifs, les musulmans et la plupart des hommes croient en Dieu sans être chrétiens. Dans notre profession de foi à nous, dans notre Credo, nous affirmons croire en Dieu, (bien sûr !), en deux lignes seulement. Et puis nous développons notre croyance spécifique en seize lignes : c'est la foi en Jésus‑Christ qui distingue les baptisés... C'est Jésus, Dieu qui s'est fait homme, qui remplit notre Credo. Oui, Jésus était un homme comme nous, avec de vraies mains qui saignaient, avec de vrais yeux qui pleuraient, un vrai corps qui se fatiguait et qui est mort. Or voici qu'un jour, ce Jésus, si humain, prit avec lui ses amis intimes, Pierre, Jacques et Jean, et, sur une haute montagne, il laissa sa divinité transparaître dans son corps. La vraie et authentique foi des chrétiens n'est pas une vague affirmation de l'existence de Dieu, mais l'audacieuse proclamation que la gloire du Dieu unique d'Israël est sur le visage d'un homme en chair et en os, Jésus‑Christ ! Ce que Dieu veut, c'est que nous aussi, ses fils, nous soyons transfigurés. La transfiguration de Jésus annonce la nôtre. Dieu n'aurait jamais créé notre pauvre humanité mortelle s'il n'avait pas prévu de nous ressusciter. La transfiguration éclaire, en effet, la question la plus importante de nos vies d’hommes : la vie a‑t‑elle un sens ? Où va‑t‑elle ? Beaucoup de choses humaines ont un sens déjà en elles-­mêmes : l'amitié, l'amour, la culture, le progrès, la justice et tant de valeurs profondes reconnues de tous... Mais il y a aussi, dans ce monde tel qu'il est, beaucoup de non­-sens : cet enfant qui souffre et va mourir, ces massacres de populations, ces guerres, cette catastrophe aérienne, cet ami qui va mourir d’un cancer. On ne peut éviter de se poser la question : qui va finalement l'emporter du sens ou du non‑sens ? Est‑ce la mort, la destruction, le mal, qui sont au bout de tout ?

La réponse chrétienne, celle de notre Credo, est la réponse même de Jésus : l'être humain, si fragile qu'il soit, n'est pas destiné au néant. L'homme est destiné à être transfiguré en Dieu. Notre baptême nous configure, nous incorpore à la vie de Jésus ressus­cité !

Telle est la densité éternelle que prend chacun de nos actes humains : nos choix ne sont pas indifférents, ils pèsent d'un poids d'éternité.

Homélie pour le 1er dimanche de Carême

Les trois tentations du Christ sont toujours d'actualité, toujours modernes... "bien de chez nous".

1ère tentation : le plaisir facile : Après 40 jours de jeûne, Jésus a faim. Ce n'est pas un ange, mais un homme. Comme l'assoiffé du désert voit partout en mirages, des puits, des oasis, Jésus, lui qui est capable de multiplier les pains, pourrait tout à coup faire apparaître de savoureuses brioches dorées. Un simple claquement de doigts !

Pour nous, dans une société de l'abondance, c'est la tentation des nourritures terrestres, la tentation du "jouir", du "s'éclater". Plaisirs souvent légitimes, mais plaisirs faciles, excessifs, immédiats. Alors que le Christ répond au démon : il n'y a pas que ça qui compte !

2ème tentation : la foi facile : Quand on est Fils de Dieu, et qu'on le sait, avouez que c'est tentant d'utiliser la toute‑puissance de son Père pour faire de ces petits miracles qui en jetteraient plein la vue et surtout qui montreraient qui il est vraiment...

Pour nous, c'est la tentation de réclamer à Dieu une foi confortable : que Dieu, de grâce, nous donne des signes ! "Prouve‑nous que Tu existes" ! Nous sommes devant le "vide" du silence de Dieu, et nous attendons qu'Il se révèle, et nous porte. Nous voulons des messes vivantes, intéressantes, de l'ambiance, des prêtres dynamiques. Nous voulons "sentir" Dieu !

3ème tentation enfin, celle de l'avoir et du pouvoir faciles : Le démon qui ne sait plus à quel saint se vouer (!) va proposer à Jésus une tentation grossière pour celui qui est justement le roi du monde : "Je te donnerai tout, tous les royaumes à une condition, oh! Une toute petite condition : que tu m'adores."

Pour nous, c'est la tentation de l'argent, du pouvoir et de la gloire faciles. Et tout cela par tous les moyens ! L’argent, le pouvoir, la gloire deviennent des idoles à qui on sacrifie tout : sa probité, sa foi parfois, sa famille... On oublie que Dieu seul est Dieu ! En fait, il s'agit de la grande tentation humaine : la tentation de la toute‑puissance. C'est la tentation des origines, la tentation d'Adam et Eve : "Vous serez comme des dieux". Chez nous, nos désirs, même s'ils ont été matés par la vie et l'éducation, continuent à vouloir tout... et le plus rapidement possible. Mais ce désir de toute‑puissance peut avoir du bon : même si le désir de l'homme est infini, il est d'abord une force positive, c'est le moteur de l'action : et celui qui n'a pas de désir (parce qu'on l'a tué en lui ou qu'il l'a refoulé, regardez tous les "bof" de certains jeunes comblés et blasés) rencontre la pire des tentations : celle de l'inaction. Il y a des péchés du trop (trop manger, trop boire...), mais il y a aussi les péchés du trop peu (trop peu s'aimer soi­-même, trop peu aimer, trop peu se dévouer pour ses frères…). Les grands saints étaient des êtres de désirs... de désirs fous qu'ils ont dû canaliser souvent pendant leur jeunesse. Mais ce désir est aussi dangereux : Non contrôlé, ce désir du tout, donne les tyrans de tous les temps. Le désir de toute‑puissance doit être canalisé : Puisqu'il est bon, il doit être gardé. Mais puisqu'il peut être dangereux, il doit être endigué, contrôlé, éduqué. Et le Carême est une belle occasion pour "émonder" nos désirs. Pas le sacrifice pour le sacrifice. Mais pour vivre plus. Pas le renoncement au désir par masochisme ou dolorisme. Mais le mot juste, c'est l'émondage : on émonde la vigne pour qu'elle produise plus ; c'est vrai qu'elle "pleure", mais pour porter plus de fruit. Concrètement, ne pourrait‑on vivre ce Carême, en acceptant humblement sa condition de créature, sa finitude, s'accepter limité pour tendre vers la simplicité. S'accepter malade, vieillissant... et mortel. S'accepter imparfait, pécheur. En fait, commencer par s'accepter soi‑même. Accepter ce qu'on est. Simplement. Il n'y a pas de sainteté possible sans humilité. Enfin, en cherchant ce qui doit mourir en nous pendant le Carême. A quoi sommes‑nous appelés à renoncer ? à notre sensualité, notre confort ? à notre forte possessivité sur nos proches ? à nos œuvres ? à notre paresse spirituelle ?... Il faut chaque jour réveiller notre ferveur comme si notre conversion datait de l'instant. Nous sommes aujourd'hui à pied d'œuvre pour une conversion pascale. Surtout, ne la loupons pas !

Homélie pour le mercredi des Cendres

"Tu es poussière"... Est-il besoin de nous le rappeler ? Ne connaissons-nous pas chacun nos faiblesses, nos limites, nos pauvretés, nos fragilités, nos impuissances, notre finitude ?

Est-il besoin de nous rappeler que la vie est courte, que la vieillesse, ce n'est pas pour les autres, que tous les cheveux blan­chissent, que la maladie d’Alzheimer touchera plus d’un million de Français en 2020 ? Serons-nous du lot ?

Est-il besoin de nous rappeler que nous sommes tous des condamnés à mort, à court ou à long terme ? Malgré la pilule anti-âge, la DHEA ! Tous à la merci de l'accident le plus bête du monde... À la merci d'une métastase insidieuse ? Tout s'en va vers le même lieu : tout vient de la poussière, tout s'en retourne à la pous­sière dit l'Ecclésiaste. L'homme moderne a beau essayer d'escamoter la mort : il sait bien qu'il bute sur elle à tous les tour­nants de la vie.

Mais la plus grande limite humaine, la plus grande faiblesse de l'homme, c'est son péché. Même si, là aussi, l'homme moderne essaie, dans une déculpabilisation systématique, de se débar­rasser de cette notion qu'il taxe avec mépris de judéo-chrétienne. Comme si le péché n'existait pas ! Comme si des grands fléaux modernes : purification ethnique, exclusion, corrup­tion, chômage et pauvretés mondiales, le péché n'en était pas la source profonde ! Surtout, surtout, ne nous justifions jamais : n'oublions pas le pharisien, et devenons un publicain. Faire l'inventaire de son péché est essentiel en ce jour, car le péché est l'ennemi de notre crois­sance humaine et surnaturelle : Notre vocation est notre divinisation. Or, le péché est ce que le Christ ne peut pas diviniser parce que ce n'est pas humanisant. Le péché, c'est du néant. Il est le refus de notre vocation à la divinisation, et cela se traduit par l'égoïsme sous toutes ses formes, c'est à dire le contraire de ce qu'est Dieu.

Mais nous n'allons pas nous complaire dans une rumination morbide de nos péchés. Nous n'allons pas rester dans une contemplation masochiste du catalogue de nos fautes. Notre carême nous appelle au contraire à revivre... à renaître.

- parce qu'un temps de réflexion nous est offert : il importe de savoir s'arrêter pour penser sa vie, pour réfléchir sur sa vie, sur chaque instant de sa vie : pourquoi je vis ? Comment je vis ?

- parce qu'un temps d'émondage nous est accordé : le carême n'est pas la recherche doloriste de la souf­france pour la souffrance... c'est un émondage pour un surcroît de vie : la pénitence chrétienne n'est jamais une souffrance "pour rien", mais toujours un renoncement aux fruits sauvages ou aux fruits gâtés, pour une belle récolte. Le jeûne que nous nous imposerons ne sera pas seulement utile pour notre santé spirituelle ou pour notre "ligne" et notre surali­mentation ordinaire, mais il profitera aussi aux gens miséreux pour qui nous ne calculerons pas, pour une fois, nos largesses.

- parce que surtout un sauveur nous est donné : c'est vrai que nous sommes pécheurs, mais nous avons un sauveur. Nous sommes des pécheurs pardonnés. Quoi de mieux ! Il suffit pour nous, moins de demander pardon, que d'accueillir le pardon assuré de Dieu. Le mal en nous est profond, c'est vrai, et nous sommes bien incapables de l'atteindre par nous-mêmes. Mais le Christ l'a pris sur lui : il a tout retourné, racheté. Recourons donc humblement, avec confiance au réparateur divin. Si nous sommes victime du péché, le Seigneur vient à nous pour nous aimer davantage et nous sauver et nous connaîtrons la joie de la reconnaissance. Et voilà tout le sens de ce carême qui débute. Vivre une fois au moins pleinement le grand sacrement de réconciliation, sans lequel l'homme resterait toujours quelque part continuellement culpabilisé. Écoutons l'appel suppliant du Seigneur dans la première lecture : revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil. C'est Dieu qui se met littéralement à genoux devant nous pour inviter à la conversion, car "il est ému en faveur de son peuple".

Et tout ce travail sur nous-même entrepris dans cette sainte quarantaine, nous le ferons dans la discrétion... comme dit l'Évangile. Prière, Purification, Jeûne, Partage, tout cela nous le ferons dans le secret... Seul le Père sera au parfum !

Homélie pour le 8ème dimanche ordinaire A

Une lecture superficielle de l'Évangile d'aujourd'hui pourrait laisser supposer que Jésus recommande l'insouciance ou la paresse. En donnant l'exemple des « oiseaux du ciel qui ne travaillent pas » et des « fleurs des champs qui ne se donnent pas de peine »... il n'est pas pensable, a priori, que Jésus ait voulu dire aux chômeurs de ne pas se soucier du lendemain, ni aux mères de famille de ne pas faire de provisions. En notre temps de crise économique, de chômage, de «nouvelles pauvretés», une mauvaise compréhension de la pensée de Jésus serait une insulte aux pauvres. Un comble ! Alors, sans rien édulcorer, quelle est donc la pensée de Jésus ?

Saint Jérôme, déjà, faisait remarquer que Jésus ne condamne pas « avoir de l'argent » mais « servir l'argent ». A Nazareth, Jésus avait un métier et savait ce que c'est que gagner sa vie à la sueur de son front. Dans la parabole des talents, il reproche au mauvais serviteur de ne pas avoir fait fructifier son argent à la banque. Non, Jésus ne condamne pas l'usage normal de l'argent, mais l'asservissement à l'argent. « Vous ne pouvez pas servir deux maîtres : Dieu et l'Argent ! » La pensée, très fine, de Jésus éclate clairement quand on traduit ainsi : « Vous ne pouvez pas être esclaves de deux seigneurs : Dieu et Mammon. »

Cette mise en garde de Jésus est d'une brûlante actualité : pour Jésus, l'argent est un bon serviteur à qui nous donnons, hélas, le pouvoir d'être un mauvais maître. Pauvres malheureux riches ! Libérons-nous d'un tel tyran qui nous asservit !

Quatre fois, dans le seul Évangile d'aujourd'hui, Jésus nous répète : «Ne vous faites donc pas tant de souci!» Le tracas, l'inquiétude, la fièvre sont une des formes de cette servitude que l'avidité entraîne. Tous les observateurs savent que notre monde occidental est statistiquement plus fragile aux infarctus et aux dépressions nerveuses et détient le record des somnifères artificiels. Là encore, Jésus voudrait nous libérer : sachez donc vous relaxer : « la vie vaut plus que la nourriture ». Nourriture, boisson, vêtement, argent, ne sont là qu'au service de la vie ! Le Pape François ne cesse de rappeler cette hiérarchie des valeurs selon Jésus. "Au centre de l'économie mondiale, dit-il, il y a le Dieu argent, et non la personne, voilà le premier terrorisme". « L’une des causes de cette situation réside dans le rapport que nous entretenons avec l’argent, et dans notre acceptation de son empire sur nos êtres et nos sociétés. On s’est créé des idoles nouvelles. L’adoration de l’antique veau d’or a trouvé un visage nouveau et impitoyable dans le fétichisme de l’argent, et dans la dictature de l’économie sans visage, ni but vraiment humain ».  Alors, pour comprendre la « bonne » nouvelle que Jésus apporte à l'humanité désemparée, il faut accepter de se mettre, comme Jésus, dans la tendresse du Père des cieux, qui « sait que nous avons besoin de tout cela » ! Jésus savait s'émerveiller. Et nous? Jésus nous dit, et ce n'est pas un doux rêveur : « Regardez les oiseaux... observez les lis des champs ». Dieu, le Créateur, répand la vie à profusion. La conversion que Jésus propose à notre humanité opprimée par le souci excessif pourrait se résumer dans cette prière de petit enfant : « Toi qui m'aimes comme une maman berçant son bébé, comme un père protégeant son enfant, mon Dieu, mon Père du ciel, je remets mes soucis entre tes mains. Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour ! » Je prends mon agenda de cette semaine... Et je me demande ce que Jésus dirait de mon emploi du temps. Il me souhaite sans « stress », sans « inquiétude ». Par la prière, je dépose mes soucis, mes anxiétés, dans les mains de Dieu. « A chaque jour suffit sa peine. »

Homélie pour le 7ème dimanche A

A qui n'a-t-on pas dit un jour ? : Ne te laisse pas marcher sur les pieds. Rends coup pour coup. Plus tu frappes fort, plus tu as tes chances. Avec ces gens-là, il ne faut pas faire de sentiments. Faut pas être raciste, mais quand même.

Le Christ n'a pas dit : Prends à la lettre mes paroles et tends la joue gauche à qui te frappe sur la joue droite. N’a-t-il pas dit au soldat qui l'avait giflé : « Pourquoi me frappes-tu ? ». Le Christ n’a pas dit non plus : Écrase-toi devant celui qui t'agresse. Mais le Christ a dit : aime... Le Christ ne vient pas donner ici des recettes toutes simplettes pour résoudre les conflits, mais il veut changer les cœurs. C'est un esprit radicalement nouveau qu'il veut insuffler aux humains : ils trouveront ensuite les attitudes convenant à la situation concrète.

L'Évangile n'apporte pas forcément des réponses toutes faites
aux problèmes des hommes ; il les résout plutôt en transformant d'abord l'homme. En fait, Jésus nous dit : enlevez d'abord de vos cœurs la rancœur de la vengeance : Ne vous laissez pas emporter par cette agressivité instinctive qui monte en vous. Ne vous laissez pas ronger par le désir de vous venger. Ne répondez pas au mal par le mal, parce qu'alors vous deve­nez semblable à votre offenseur. Ne vous laissez pas déstabiliser par la rancune, car c'est don­ner à l'autre un pouvoir sur vous, le pouvoir de vous détruire dans le meilleur de vous-même. Et si vous pouviez être « au-dessus » de tout ça, quel signe de votre force ce serait ! Faites plus : aimez vos ennemis, comprenez-les.

Attention, aimer, n'est pas d'abord une question de sentiments : Aimer ses ennemis, c'est positivement, concrètement, effective­ment leur vouloir et leur faire du bien. C'est commencer par prier pour eux, dit le Christ : si vrai­ment, ils ont mal agi, ils en ont besoin et prier, c'est possible pour tout le monde ! Prier pour ses ennemis, ça signifie prier pour leur conversion. Aimer ses ennemis, c'est lentement, progressivement, devenir capable de pardon. Le pardon vise la personne, non l'acte. On n'a pas oublié Jean-Paul II étreignant Ali Agça, son agresseur, au fond de sa prison. Aimer ses ennemis, c'est aussi leur faire du bien et prêter sans espoir de retour. Nous atteignons ici les som­mets de l'amour-charité, de l'amour-don, puisqu'on débouche sur la gratuité absolue.

Mais pour un chrétien, la vraie motivation, c'est l'imitation de l'attitude même du Père, qui ne dirige pas le soleil et la pluie sur le jardin des carmélites et la grêle sur la vigne du méchant. D'ailleurs nos péchés n'ont-ils pas fait de nous les ennemis du Père, et loin de nous punir, il nous envoie, la preuve de son amour, son Fils qui va justement mourir pour des pécheurs. Comme aurait dit St Paul : Mourir pour des justes, passe encore, mais mourir pour des pécheurs, faut le faire !

C'est aussi l'imitation du crucifié, qui sur la croix a prié pour ses ennemis, supplié son Père pour eux : Excuse-les, Père... tu vois bien, ils ne savent pas ce qu'ils font.

Enlever de son cœur tout ressentiment et tout désir de vengeance est plus facile à dire qu'à faire. Il y faut souvent la grâce de Dieu. Et quand c'est trop dur de pardonner, alors n'oublions pas que nous sommes nous-mêmes des pardonnés de Dieu, et que nous le serons d'autant plus que nous saurons nous-mêmes pardonner « à ceux qui nous ont offensés ». Dans le pardon, notre propre intérêt est en jeu !

Homélie pour le 6ème dimanche A

Après la lecture d'aujourd'hui, il faudrait être myope pour ne considérer l'Evangile que comme un livre de considérations apaisantes et douceâtres. L'Evangile, c'est renversant ! Si on l'accueille dans sa maison, la vie change. La parole de Jésus bouscule les habitudes, ren­verse les Préjugés, désorganise le confort ; mais cette parole rend libre ! Jésus ne saurait vouloir pour l'homme une vie au rabais. Il veut préparer les fils de Dieu de demain et non de paisibles retraités pour l'éternité, parce que l'amour est exigeant. Quand le Christ dit qu'il est venu non pas abolir la loi, mais l'accomplir, il ne veut pas dire qu'il est venu « resserrer » les boulons, et augmenter, dans un perfectionnisme maladif, la liste des prescriptions : On vous a dit... eh bien ! moi, je vais encore en rajouter, je vais frapper plus fort, je vais vous montrer que je suis un champion de la morale. Non, il est venu redonner à nos choix moraux, la seule motivation valable : l'amour. C'est pour cela qu'il a d'abord dénoncé l'observation tatillonne et rigide de la loi, comme la pratiquaient souvent les pharisiens. Il est venu dénoncer ceux qui se contentent de poser des actes extérieurs, sans que le cœur n'y soit ; l'essentiel, n'est‑ce pas l'attitude intérieure ? Pourquoi en réalité j'obéis à la Loi ? Tout est dans la réponse que je vais faire à cette question. Si c'est uniquement pour être en règle, je ne ferai que le strict minimum, et de plus, je serai ‑ hélas ! ‑ content de moi : on ne peut rien me reprocher. Mais si c'est l'amour qui est la raison profonde de mes actions alors je ne calcule plus, je vais bien au‑delà de la loi. A la limite même, la loi devient inutile. Si j'aime profondément le Seigneur, faudra‑t‑il que l'Eglise me fasse une obligation de la messe dominicale ? Est‑ce que je n'y courrai pas spontanément ? Ne serait‑ce pas une hypocrisie de répéter : « Notre Père », tout en cultivant des sentiments de rancœurs et de haine, ou même des idées de représailles et de vengeance ? Ainsi les exigences du Christ ne sont jamais que les intransigeances de l'amour, qui demande beaucoup plus que la seule justice, mais qui, en même temps facilite tellement les choses : quand on aime, on devient capable de l'impossible. Mais il y a plus : ces exigences sont dans l'ordre du possible, car cet amour est don de Dieu. Dans la mesure où le chrétien entre vraiment dans la volonté du Père et se laisse saisir et animer par l'Esprit de Jésus, il entre tout naturellement dans cette dynamique de dépassement. Si vous faites votre devoir parce que c'est le devoir, vous faites de la morale, mais pas de la religion, puisque vous n'êtes pas en relation avec « quelqu'un ». La vraie morale n'est plus un code de préceptes, vite perçus comme imbuvables. Elle est d'abord un art de vivre heureux et libre, parce qu'elle est précisément avant tout une vie, la vie de Dieu en nous, cette vie divine qui nous dicte justement des comportements de fils de Dieu. Plus le chrétien voudra se conformer au Christ, plus couleront de source ces exigences de l'Evangile, dans un merveilleux désir d'amour d'en faire plus que ce qui est demandé. La vraie morale en définitive ? C’est ouvrir son cœur à l'action de l'Esprit, c'est le laisser agir en nous, nous laisser emmener sur des sommets rigoureusement inaccessibles sans Lui...

Homélie pour le 5ème dimanche A

La parabole du sel de ce dimanche nous montre quelle doit être l'action invisible, profonde, intérieure des chrétiens dans le monde et celle de la lumière, souligne la visibilité et le rayonnement. Le sel d’abord a toujours été le symbole de l'hospitalité : Par­tager le pain et le sel est dans certains pays plus qu'un signe d'amitié mais une alliance qui lie pour toujours. En ce sens, le chrétien est aussi « le sel » dans la mesure où il est amitié fidèle, hospitalité sans calcul. Dans la Bible, on attribue au sel une valeur purificatrice : Il peut donc devenir le symbole du chrétien qui refuse de partici­per aux corruptions d'un monde vicié par le souci de l'argent ou du pouvoir. Le sel aujourd'hui est mis sur les routes d'hiver pour faire fondre la neige. Le chrétien peut être aussi, en ce sens, le sel de ce monde, en faisant fondre la glace des cœurs durcis par l'agressivité, le désir de vengeance... ou simplement la souffrance. Mais surtout le sel est ce qui donne de la saveur aux ali­ments, qui relève et pimente les plats de chaque jour. Dans cette vie moderne, marquée souvent par la morosité, où les repus-blasés côtoient les affamés-sans-espérance, où beaucoup de jeunes n'ont vraiment plus goût à rien, soit parce que juste­ment ils ont goûté à tout, soit parce qu'avec un Bac plus 6, ils mendient un emploi ou végètent dans un emploi précaire, dans un monde qui apparaît sans but à l'individu « lambda », dans un monde où l'on recherche obstinément la qualité de la vie, le chrétien est le sel du monde, si sa foi aide les autres à retrouver des raisons de vivre, le goût de vivre. S'il sait, lui-aussi, trans­mettre aux autres le désir de savourer la découverte de Dieu, parce qu'il est lui-même un gourmet de Dieu. Vous êtes le sel de la terre, et non pas : vous devez être le sel de la terre. Et voilà ce que ne veut pas le Seigneur : Des chrétiens fadasses. Des chrétiens qui édulcorent la radicalité et la force de l'Évangile. Des chrétiens tièdes, inodores, incolores et sans saveur. Des chrétiens « caméléons » qui prennent la couleur de leur environnement, qui pensent, disent et font « comme tout le monde », c'est-à-dire en fait souvent comme les médias. Combien de chrétiens, sous prétexte de comprendre le monde moderne, sont allés généreusement à la rencontre de ce monde, mais ils ont oublié leur spécificité ; ils ont tout admis au nom de la tolérance. Vous les cher­chez dans ce monde ? Disparus ! Ils ont disparu, noyés dans l'océan des idées reçues. Que peuvent-ils apporter au monde, s'ils pen­sent et disent comme lui ? Tous, nous sommes tentés, au cours de notre vie, d'affadisse­ment, de tiédeur ou de découragement. Puissions-nous alors regar­der autour de nous tous ces chrétiens, qui, en dépit de bien des critiques, font un travail de fourmi pour qu'avance le règne de Dieu. Si le chrétien est invité à vivre, dans son quotidien, cette action pénétrante et effacée du sel, il n'est pas dispensé pour autant, quand il le faut, d'un apostolat visible et rayonnant comme la lumière ! Que les chrétiens brillent sans complexe et brillent toujours plus ! Passez à la LED ! La Bonne Nouvelle n'est pas faite pour être murmurée, mais criée toujours plus fortement. Ainsi, Chrétiens-lumière sont tous les chrétiens dont la joie est contagieuse. Mais que de fois nous sommes des chrétiens éteints ou si peu lumineux ! Craignons d'être des chrétiens qui ont cessé d'éclairer leurs frères, qui sont : Non pas des phares, mais des bougies. Chrétiens éteints, chrétiens muets, anesthésiés par la peur du qu'en dira-t-on. Chrétiens éteints, qui mettent leur drapeau dans leur poche : un drapeau qui, dans ce cas, devient alors un mouchoir. Chrétiens éteints ceux qui rougissent de leur foi, de leur Église, de leur Christ. Alors, un peu de fierté et d'amour-propre ne seront pas de trop pour nous rap­peler notre vocation de fils de la lumière. Ce ne sont pas nos vertus qui sont lumière, c'est ce que Dieu a fait pour nous et que les autres perçoivent à travers notre vie. Nous ne marchons pas en bombant le torse : « admirez le chré­tien que je suis », mais en désignant le Père, source de notre joie. Si nous avons quelque valeur, nous le savons bien, c'est que le Christ, présent dans nos âmes, y sème ineffablement l'essence même de la vie.

Homélie pour le 4ème dimanche ordinaire A

Les béatitudes de l'Évangile sont les facettes de la grande Béatitude de l'amour. Pour aimer les autres ou le Seigneur, encore faut-il d'abord être désencombrés. D'ailleurs quand on aime vraiment, on se prive facilement de ce qui peut nous éloigner ou nous distraire de l'être aimé. Libéré des attaches matérielles ou de l'amour exagéré de soi-même, l'être humain peut, dès ici-bas, vivre une relation comblante : Si tu savais le don de Dieu, disait le Christ à la sama­ritaine, si tu savais quel bonheur serait le tien si tu te laissais aimer par Dieu ! C'est pour cette raison que les simples, les petits, les doux, les humbles peuvent accéder à une sérénité délicieuse. Le vrai bonheur n'existe que dans une désappropriation continue comme dans la Trinité où chaque personne n'existe que dans une dépos­session totale d'elle-même pour les deux autres. Dès lors : Heureux ceux qui acceptent de fleurir là où ils ont été semés. Heureux ceux qui s'acceptent tels qu'ils sont, avec leur fragilité, leurs pulsions déconcertantes, leurs faiblesses. Heureux ceux qui ne se comparent pas aux autres : il y a toujours quelqu'un de plus important qu'eux. Heureux ceux qui savent donner valeur aux petites choses de la vie. Heureux ceux qui ne sont pas admiratifs devant les caddies bien remplis de la société de consommation. Heureux ceux qui acceptent de vivre sobrement pour partager. Heureux ceux qui savent se satisfaire de ce qu'ils ont, sans rêver d'un ailleurs où l'herbe est plus verte. Heureux ceux qui acceptent de recevoir ce qui leur est donné. Heureux ceux qui savent qu'ils ont besoin des autres. Heureux ceux qui savent écouter avant de parler. Heureux ceux qui savent écouter même les ignorants : ils ont quelque chose à leur dire. Heureux ceux qui savent qu'ils ont besoin de Dieu. Heureux ceux qui lisent l'Évangile en pensant qu'ils sont concernés. Jésus ne dit pas : heureuse la pauvreté, heureuse la persécu­tion. Il dit : heureux vous qui êtes pauvres, heureux vous qui pleu­rez. Il ne canonise pas des détresses. Il proclame un message d'es­pérance à ceux qui sont écrasés par elles. Car au cœur de leurs souffrances, Dieu les visite. Ils sont l'objet tout particulier de l'amour de Dieu. Mais la souffrance révèle aussi l'amour de l'homme : jusqu'où aimes-tu ? Aimes-tu le Seigneur jusqu'à souf­frir persécution pour lui, jusqu'à mourir pour lui ? L'aimes-tu même lorsque pour toi la vie est difficile.

L'amour ne peut grandir qu'entre des êtres qui sont vrais. Les cœurs purs dont parle l'Évangile, ce sont ceux qui ne connaissent pas la duplicité. Ils se caractérisent par la droiture, la cohérence. Ils sont transparents à eux-mêmes, transparents pour les autres, authentiques envers Dieu. Ils créent autour d'eux un climat de lumière. Dès lors, heureux ceux qui ne sont pas aveuglés par leurs passions, débordés par leurs désirs. Heureux ceux qui ne disent pas un « Je t'aime » qu'ils ne pensent pas. Heureux ceux qui ont toujours soif de limpidité et de pureté. Heureux ceux qui n'ont qu'une parole. Heureux ceux dont le cœur n'est pas partagé. Heureux ceux qui peuvent dire qu'ils aiment Dieu de tout leur cœur.

Le Bonheur évangélique n'a rien à voir avec les « petits bonheurs » éphémères que peuvent apporter les nour­ritures terrestres, avec le flash tant recherché des toxicomanes, la sérénité du pécheur à la ligne, l'apéro quotidien au café du coin, le « farniente » sur la plage des vacances, les émotions fortes sur un manège de Disneyland ou même les satisfactions qu’apporte une famille unie. La Béatitude, au sens biblique, c'est la félicité éternelle que connaîtra l'homme jouissant de la vision de Dieu. En fait, il n'y a qu'une béatitude : Heureux celui qui se sait aimé et qui aime. Mais, c'est vrai, pour vivre dans ce climat d'amour, il faut être pauvres, il faut être doux et humbles, il faut connaître les larmes, il faut être miséricordieux et purs, assoiffés de justice. Les béatitudes de l'Évangile sont les facettes de la grande Béatitude de l'amour.

Oui, si nous le voulons, le ciel est déjà en nous. Pourquoi attendre la mort pour vivre le ciel ? Le ciel est partout où règne l'amour vrai, désintéressé, gratuit, généreux. Il faut être heureux pour rendre heureux, mais il faut rendre heureux pour être heureux. La clef du bonheur, ce sont ces paradoxales béatitudes qui sont les conditions d'une vie d'amour. Pourquoi les hommes vont-ils chercher des fausses clefs : l'argent, les plaisirs faciles, la gloire ? Non, la religion n'est pas une entre­prise de pompes funèbres qui dit que la vie ici-bas n'est qu'« une vallée de larmes » dans l'attente d'une Joie à venir. Dieu est notre bonheur. Dieu est joie. Non seulement en lui-même, mais pour nous. La religion, notre religion, notre spiritualité, c'est cela, c'est la joie de Dieu.

Homélie pour le 3ème dimanche ordinaire A

Le Christ est venu pour réunir toutes les nations de la terre, et son Père ne lui avait donné que trois ans pour cette œuvre gigantesque ! Après tout, à coup de miracles éclatants, c'était peut‑être dans l'ordre du possible. Mais Jésus n'est pas Zorro. Il ne vient pas faire des coups médiatiques, ni installer une religion de l'esbroufe, mais une religion qui ne gagne les cœurs que par l'amour. Bien plus : le Christ ne vient pas nous sauver sans que nous‑mêmes ne mettions la main à la pâte. C'est pour cette raison qu'il va confier à des hommes la lourde tâche de poursuivre son action jusqu'à la fin des temps. Il va appeler des apôtres. La vocation des quatre apôtres que nous rapporte l’évangile a beau être décrite simplement : elle est émouvante et riche d'en­seignements.

Mais le mot même de « vocation » est frappé comme d’une sorte d’interdit, y compris dans l’Église. Le fait même de parler de vocation, semble tout d’un coup faire surgir un certain nombre de peurs, de tensions, de passions qu’il s’agit de regarder de près. Or pour moi, et j’en suis convaincu, le mot vocation est synonyme de « bonne nouvelle » c’est à dire la bonne nouvelle d’une création. Être appelé, c’est être créé pour grandir dans un accompagnement humain et spirituel. Alors pourquoi cette sorte d’interdit qui pèse sur ce mot de vocation, particulièrement de vocation chrétienne et tout particulièrement de ce qu’on appelle les vocations spécifiques. Les apôtres ont été libérés de ces peurs, parce que dans toute appel, toute vocation, religieuse ou à un apostolat laïque :

‑ Il y a d'abord une initiative qui vient de Dieu. Ce n'est pas le disciple qui va demander de l'embauche, c'est le Maître qui vient proposer un emploi. Appel intérieur pro­fond, invitation forte mais respectueuse ;

‑ Il appelle les apôtres alors qu'ils font leur humble travail de pêcheurs ; il rejoint donc dans leur vie de tous les jours ceux qu'il appelle.

‑ Il n'appelle pas forcément des « grosses têtes », des « forts en maths », mais des simples, des pauvres, souvent plus dispo­nibles.

N'utilisons donc pas trop vite l'alibi de notre incompétence pour ne pas répondre à l'appel de Dieu et aux besoins de nos frères. Dieu saura nous transformer et suppléer à nos manques.

‑ Il appelle des êtres de désir, qui ont ce brin de folie qui va les amener à renoncer à beaucoup. Devant l'appel du Christ à le suivre, les apôtres n'ont pas lésiné : « Aussitôt, laissant leurs filets, ils le suivirent... »

On pourrait penser que c'est de leur part de l'inconscience ou même de la folie douce. Toute réponse à un appel de Dieu doit ressembler à celle des apôtres : elle a ses exigences.

‑ Une confiance spontanée d'abord, presque enfantine : C'est l'abandon joyeux à celui que l'on aime.

‑ Un certain détachement : il faut quitter les filets qui nous retiennent... et nous enchaînent parfois.

Il n'y a pas de choix sans renoncement... surtout quand c'est le Christ qui est choisi ! Et on ne peut faire l'économie d'un cer­tain courage.

Tout est affaire d’amour. Choisir sa vie, c'est choisir la façon concrète dont je vais aimer le mieux possible... Pour que mon existence soit une véritable histoire d'amour. C'est à chacun de prendre, un jour ou l'autre, à bras le corps, la question du sens profond qu'il voudra donner à sa présence sur la terre.

‑ Une prise de risque : les apôtres n'ont pas laissé que leurs filets, ils ont laissé leur vie sur les routes du monde.

‑ Un témoignage : Les apôtres sont partis dans le monde entier por­ter la Bonne Nouvelle, et aujourd’hui il faut que d’autres continuent la mission, car le Christ n'a pas de mains, il n'a que nos mains pour faire son travail. Le Christ n'a pas de pieds, il n'a que nos pieds pour conduire les hommes sur son chemin. Le Christ n'a pas de lèvres, il n'a que nos lèvres pour parler de lui aux hommes. Le Christ n'a pas d'aide, il n'a que notre aide pour mettre les hommes à ses côtés. Nous sommes la seule Bible que les gens lisent encore. Nous sommes le dernier message de Dieu écrit en actes et en paroles.

La moisson est grande : le monde à évangé­liser, encore plus ! Les ouvriers nettement insuffisants : mais c'est vrai, les vocations laïques sont florissantes. Et surtout monte de plus en plus de nos communautés une prière ardente pour que Dieu donne au monde d'aujourd'hui les apôtres dont il a besoin. Et peut-être que dans le silence de nos cœurs, le Christ nous souffle-t-il : Et toi, veux-tu me suivre et être apôtre à ton tour.

Homélie pour le 2ème dimanche ordinaire A

La Religion baisse, le Christ monte ! Que représentent les catholiques en France se demande le journal la Croix de jeudi ? Les 5 % de la population qui, selon les sondages, vont à la messe régulièrement ? les 53 % qui se disent catholiques ? ou les 23 % de catholiques « engagés », c’est-à-dire qui se sentent rattachés à la vie de l’Église d’une manière ou d’une autre ? Si les parutions sur Jésus pleuvent comme jamais au moment des fêtes de Noël, c'est bien que ce Juif, né à Bethléem, a toujours sur l'homme un merveilleux pouvoir de séduction. Mais quelle image de cet homme est donnée dans ce tapage médiatique ? Qui nous dira exactement quel est ce personnage fascinant qui a traversé les siècles sans cesser d'intriguer mais aussi d'être admiré et aimé ? L’Evangile d'aujourd'hui nous donne une réponse, il nous présente : Jésus selon Jean‑Baptiste ! Après tout, il était bien placé pour le connaître, en tant que cousin, en tant que prophète surtout, illuminé par l'Esprit. Et Jésus vu par Jean‑Baptiste, c'est celui qui vient effacer le péché du monde. Jean‑Baptiste met devant nos yeux le Jésus Sauveur...Or Jésus ne peut nous sauver que s’il est à la fois l'Agneau de Dieu immolé pour le monde, et le Fils de Dieu. Autrement dit, Jean pointe vraiment sur l’essentiel trop souvent escamoté : Jésus est cet homme immolé, mais aussi le Fils bien‑aimé du Père. Ainsi quand Jean voit s'approcher Jésus, il dit à la foule : Voici l'agneau de Dieu chargé d'effacer le péché du monde. Mais que peut bien signifier ce vocable du Christ‑agneau‑de Dieu pour nos contemporains ? ils veulent bien d'un Jésus en médecin du monde, d'un Jésus luttant contre l'exclusion, mais d'un Jésus en croix, ils n'en ont que faire. C'est vrai qu'il a apporté au monde un immense message d'amour qui a été le départ de formidables actions caritatives, mais il est venu d'abord pour réconcilier l'homme avec Dieu et avec lui‑même, pour arracher l'homme au péché et lui tracer le chemin de l'amour désintéressé. Si le Christ n'avait pas été pleinement un homme, l'acte d'amour par lequel il donnait tout, n'aurait pas été un acte d'homme. Tout se serait passé entre Dieu et Dieu et nous ne serions pas concernés. Et nos contemporains ont rai­son de voir en Jésus un homme : il n'est pas un superman talentueux, il n'est pas un extra‑terrestre. Il est né dans un pays bien précis, en Palestine, sous le règne d'Hérode le Grand. Dès lors en lisant l'Evangile, contemplons l'humanité de Jésus. Regardons‑le, enfant soumis à ses parents... trin­quant avec ses apôtres aux Noces de Cana... assoiffé au puits de Samarie... pleurant son ami Lazare... lançant vers le ciel le cri humain le plus déchirant : Père, pourquoi m'as‑tu abandonné ? Mais surtout contemplons l'homme Jésus‑Christ, le crucifié. Voici l’Agneau de Dieu, nous dit St Jean dans l'Evangile du jour. Si Jésus n'avait pas été vraiment Dieu, sa mort d'homme n'aurait pas eu ce prix infini qu'elle a eu aux yeux de son Père. Une sueur du Christ aurait sauvé le monde, car elle était une sueur de Dieu ! Mais voilà bien le problème n°1 pour nos contemporains : c'est qu'autant ils sont disposés à accepter l'existence du Christ, autant ils ont du mal à voir en lui le Fils de Dieu. Beaucoup répugnent à accepter sa Résurrection, les mêmes qui se précipitent vers les émissions de télé où l'on « prétend » communiquer avec les morts. Or pour un chrétien, à la suite de St Paul et des évangélistes, Jésus dont l'existence et l’humanité n'est pourtant jamais mise en doute, sauf par notre philosophe national et médiatique Michel Onfray dans son dernier livre « Décadences », est clairement regardé comme le Fils du Père, Dieu comme Lui. Toute l'attitude du Christ dans l'Evangile est bien celle d'une personne qui se dit l'égale de Dieu : Seul, il pouvait d'un mot arrêter la tempête. Seul, il avait le droit de guérir et de ressusciter. Seul, il pouvait, en son nom, chasser les démons. Seul, il pou­vait exiger une foi absolue puisque Dieu est le tout de l'homme. Quelle fierté pour nous d'être ses disciples. Sans ostentation, mais sans complexe, portons allègrement le beau nom de chrétien. On peut tout simplement lui dire de tout notre cœur. « Ô Christ, je t'aime. Je t'aime parce que tu as marché sur nos chemins, mangé comme nous le pain qui craque et bu le vin nouveau, connu le froid, la faim, la soif, comme nous ; serré dans tes bras les amis de ta tendresse ; vécu les affres de la mort comme nous. Pour nous. Mais je t'aime aussi parce que Tu es le Dieu qui s'est fait chair, l'infini qui s'est fait bébé, l'Eternel qui est entré dans le temps, le Tout‑puissant qui s'est étendu librement sur la croix de l'échec, le Roi du monde qui ne gouverne que par l'Amour. »

Homélie pour l'Epiphanie

La belle histoire des mages rapportée par l'Évangile montre magnifiquement combien la quête de Dieu est de tous les temps. Même s'il faut remonter au VIème siècle pour apprendre que ces rois se seraient appelés Melchior, Gaspar et Balthazar, que l'un était blanc, l'autre jaune et l'autre noir, qu'ils représentaient les trois âges de la vie (Melchior un vieillard à longue barbe, Balthazar un homme d'âge mûr, et Gaspar, un jeune homme imberbe), il n'en est pas moins vrai que l'Épiphanie est l'une des plus anciennes affirmations de la foi. Et l'essentiel n'est pas dans les détails que la légende a ajoutés avec le temps, mais dans le grand message que St Matthieu veut nous communiquer : à savoir que tous les peuples, de toutes races, que tous les hommes, de tous âges et de toutes conditions, sont invités à la suite des mages à chercher Dieu. Mais sans oublier que c'est Dieu qui, le premier, cherche l'homme !

Peut-être a-t-on tendance à oublier trop facilement que dans l'histoire des mages, le premier qui a « bougé », c'est Dieu ! C'est toujours Dieu qui a l'initiative : et c'est tout le sens de l'étoile. Il y a d'abord intervention de Dieu qui lance un appel à l'homme. C'est d'abord Dieu qui cherche l'homme, avant même que l'homme fasse le premier pas. Un appel intérieur puissant a jeté les mages sur la route de l'aventure et de l'inconnu, et non une sorte de curiosité amusée : allons voir ce que signifie cet intri­gant météore ! Et Dieu appelle le premier, parce qu'en fait, c'est Lui qui aime le premier. Dieu est le premier des mendiants : celui qui quête l'amour des hommes, celui qui veut avoir besoin d'eux.

Il s'agit de plus d'un appel infiniment respectueux. Et à ce sujet, l'étoile est un signe merveilleux. Quoi de plus fascinant et de plus discret à la fois que le scintillement d'une étoile. Dieu ne fait pas d'esbroufe. Dieu n'éblouit pas. Il n'est pas un charlatan racoleur. L'amoureux sait bien qu'il ne faut pas forcer l'être aimé. Sa grâce est invitation pressante mais pas oppressante. Sa grâce est clin d'œil d'appel, mais qui laisse libre l'homme appelé. Il y a assez de lumière pour ceux qui veulent voir et assez d'obscurité pour ceux qui ne veulent pas voir écrivait Pascal. Cet appel a aussi cette particularité qu'il s'adresse à tous les hommes : à son berceau sont conviés tous les peuples. Si Dieu s'est engagé envers un peuple précis, ce n'était pas pour négliger les autres. Donc pas question de races : Dieu n’est pas xénophobe. Pas question de classes : Dieu n'est pas pour les riches, ni exclusivement pour les pauvres. Dieu n'est pas pour les rois, ni exclusivement pour les parias. Pas question même de sainteté : Dieu appelle les pécheurs et les saints. Tous les hommes peuvent trouver leur place dans la caravane des Mages.

Découvrir le Christ demande donc une épiphanie, une manifestation, un acte de sa part. Et c'est tout le drame de l'homme de refuser d'entendre l'appel du Dieu mendiant.

En revanche, quand Dieu nous tire à Lui par une de ses secrètes lumières qui parlent à notre cœur, quand celui qui L'ignore se met à aimer, quand celui qui jure se met à prier, alors c'est l'Épiphanie !

Peu d'hommes, au temps des mages, ont repéré et suivi l'étoile : Il fallait vraiment qu'« ils en veuillent » pour prendre la route dans des conditions si peu précisées. On pense à Abraham, le premier chercheur de Dieu, quittant ses sécurités pour partir vers l'inconnu à l'appel intérieur de Yahvé. Ne faut-il pas être un peu fou ou farfelu pour partir ainsi à l'aventure ? En débarquant à Jérusalem, les mages ont dû faire « jaser » les gens raisonnables ! Les chercheurs de Dieu seraient-ils des marginaux pour ne pas dire des anormaux aujourd'hui comme hier ?

Nous avons enfin à prendre conscience qu'en ce temps où nous cohabitons avec les gens de couleur et les immigrés, l'Épiphanie prend alors tout à coup une petite allure de fête des peuples : nous voici tous réunis par cet enfant qui veut voir autour de lui des Africains, des Européens, des Asiatiques, tous fraternellement. Oui, quand tous les hommes de la terre, ceux qui sont noirs, ceux qui sont blancs, ceux qui ont des chapeaux et ceux qui ont des turbans, quand tous les hommes de la terre se mettront à aimer, alors ensemble, nous chanterons enfin l'éternelle Épiphanie !

Tout homme est invité à être un chercheur de Dieu. Alors pourquoi tant d'hommes restent-ils sur le chemin ? Et, toute révérence gardée, comment faire boire un âne qui n'a pas soif ? Une seule réponse : trouver un autre âne qui a soif et qui boira longuement, avec joie et volupté, au côté de son congénère... des hommes qui ont soif de Dieu sont plus efficace que tant d'âneries racontées sur Lui. Et si, humblement, nous étions ces ânes assoiffés de divin, qui seront pour les autres le signe, l'étoile, qui suscitera chez les autres l'en­vie d'en faire autant !

Homélie pour la fête de Sainte Marie Mère de Dieu

Quelle joie pour un enfant, en ce jour de l'an, de se précipiter à minuit ou au saut du lit pour venir souhaiter à sa maman la bonne Année !

Quelle joie pour un chrétien de venir célébrer aujourd'hui avec l'Église sa maman du ciel sous le plus grand de ses titres : MÈRE DE DIEU ! Mère de Dieu, elle l'a été, puisqu'elle a donné la vie, nourrit, et accompagné son Fils jusqu’au bout, dans l'unique personne duquel la divinité et l'humanité étaient intimement unies. Comme elle a porté son Fils, elle nous porte dans une sollicitude toute maternelle pour faire croître en nous le fils de Dieu. Elle nous ouvre à l'action de l'Esprit-Saint pour que nous nous laissions transformer par Lui. Cette année nouvelle, souhaitons-nous donc de devenir davan­tage fils de Dieu. Que durant cette année 2017, nous laissions l’Esprit Saint enfanter Jésus en nous comme il le fit dans le sein de la Vierge.

Mais qu'est-ce qu'un fils ou une fille de Dieu ? Dieu a donné de Lui-même deux grandes définitions : L'une quand il a dit à Moïse : « Je suis le Vivant ». L'autre St Jean nous dit : « Dieu est amour ». Devenir fils et filles de Dieu, c'est donc devenir toujours davantage des vivants, toujours davantage des « amours » !

Oui, souhaitons, en ce nouvel an, de devenir toujours plus des vivants. Comme Dieu. Dieu est le « Vivant » par définition. La Trinité n'est qu'un bouillonnement de Vie. Et la création ne nous donne qu'une toute petite idée de cette vitalité prodigieuse de Dieu. Alors souhaitons-nous, en ce jour, d'être comme Dieu, des vivants et non simplement des « gens en vie » :

- d'être des éveillés, et non des endormis

- des battants et non des blasés

- des buteurs et non de simples supporters de l'Église

- des mobilisés et non des retraités de l'apostolat

- des responsables et non des moutons

- des réformateurs actifs de notre société et non des râleurs

- des tracteurs et non des remorques

Des fils de Dieu, ce ne sont pas des fils à papa, mais des enfants généreux qui entendent faire honneur à leur Père. Et que faire de mieux dans ce cas sinon essayer de Lui ressembler !

Bouillonnement de Vie, Dieu est aussi une fournaise d'Amour. Dans la Trinité, chaque personne divine vit dans une décentration totale d'elle-même sur les autres personnes. Souhaitons-nous donc de devenir, comme Dieu, « des amours » :

- Un amour de mari qui n'oublie pas l'anniversaire de sa femme mais qui oublie son âge.

- Un amour d'épouse qui laisse son mari écouter les infos.

- Un amour de père qui a trouvé autre chose à dire aujourd'hui à son enfant que : Bonne Année, bonne santé et que tu aies de bonnes notes cette année.

- Un amour de maman qui sait endormir ses enfants avec une histoire à feuille­tons rebondissants.

- Un amour d'enfant qui évite de faire crier sa maman.

- Un amour de mamie qui donne du temps à ses petits-enfants plutôt que des bonbons.

- Un amour de paroissien qui essaie de comprendre son curé et son tempérament.

- Un amour de collègue qui accepte pour les autres de reporter ses vacances.

- Un amour de patron qui ne « dégraisse « que s'il y est contraint pour la sur­vie de l'entreprise.

- Un amour de syndicaliste qui ne revendique que le possible, mais tout le pos­sible.

- Un amour d'infirmière qui ne s'habituera jamais à voir souffrir ses malades...

Des fils et des filles de Dieu, ça se voit à l'amour qui les anime. Ils ont les mœurs de leur Père. Ils ne se contentent pas d'aimer, ils disent qu'ils aiment. Voici une année nouvelle. La vie est courte et passe très vite. Mais elle n'est pas insignifiante et sans grandeur, puisque ces quelques années passées sur la terre permettent de fabriquer les fils de Dieu de l'Éternité. Pas nécessaire, en ce court transit sur la planète de faire des actions d'éclats, mais ces petits riens qui disent l'amour. Ce 1er janvier, disait quelqu'un, j'ai offert un bouquet de fleurs à la fleuriste. Elle en a été émue aux larmes : ça ne lui était jamais arrivé. Bonne Année à tous : qu'elle nous apporte du soleil, des fleurs, des sourires et des tendresses. Mais, rien n'est parfait, nous connaî­trons aussi sans doute des épreuves. Seule, la grâce s'éternise !

Homélie pour la nuit de Noël

N'allons pas étouffer le fabuleux Mystère de Noël, sous les wagons de dindes et de chapons, les cadeaux bien emballés, les boîtes de foie gras ou les bûches à la crème au beurre. En cette solennité de la société de consommation, ne nous laissons pas éblouir comme des enfants de trois ans, par les guirlandes multico­lores, et les enseignes scintillantes des grands magasins. Ne nous laissons pas emporter par la frénésie des jeux Hi-tech dans un joyeux Tech-Noël promu par M. Bouygues, par le dernier super Game japonais pour enfants « bioniques », ou les derniers iPad, iPod, et iPhone. Préférons-leur l’i-Mmanent. N’essayons pas de vivre un beau Noël, mais un vrai Noël : plaçons-nous devant « l'I-nouï » de Dieu. Ceux qui sont les plus dému­nis, ceux qui sont dans la nuit de la souffrance et la violence de la guerre, peuvent peut-être mieux percevoir combien Noël devrait être une fête plus intérieure : Si Jésus est né de nuit, écrivaient les moines de Tibhérine, n'est-ce pas pour naître dans toutes les nuits, même celles de tous ceux qui vivront leur der­nière nuit cette nuit ? Ne passons donc pas à côté de ce Mystère étonnant : L'Em­manuel, Dieu qui vient chez nous, pour qu'un jour nous allions chez Lui. Dieu qui s'humanise pour que l'homme se divinise. C'est vraiment Dieu avec nous ; c'est Dieu chez nous ; c'est Dieu l'un de nous ; c'est Dieu au milieu de nous ; c'est Dieu à nos côtés ; c'est Dieu dans notre peau d'homme ; c'est Dieu fait chair. Le Tout-Autre devient le Tout-nôtre. Il surgit parmi nous où on ne l'attend pas, de la manière la plus insolite et la plus bouleversante. Pour le comprendre pre­nons le temps d'aller à la crèche, et regardons Dieu ! Regardons ce bébé qui tête sa mère, qui fait son rot et s'endort. C'est Lui, le Fils du Très-Haut. C'est un bébé comme tous les bébés du monde. C'est Dieu tel qu'il est ! Il repose à même le sol. Dieu est sur la paille dans tous les sens de l’expression. Le Verbe de Dieu, la Parole de Dieu babille dans un berceau. La première étonnée, c'est Marie : car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et par moments, elle oublie qu'il est Dieu. Mais à d'autres moments, elle demeure interdite et elle pense : Dieu est là. Ce Dieu est mon enfant. Cette chair divine est ma chair. Il a mes yeux, et la forme de sa bouche, c’est la mienne, il me ressemble. Il est Dieu et il me res­semble. Aucune femme n'a eu de la sorte son Dieu pour elle seule, un Dieu tout petit qu'on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud, qui sourit, qui respire, un Dieu qu'on peut toucher et qui rit. Mais alors, voilà qui change tout. On attendait un Dieu puissant, et nous trouvons un enfant qui n'a même pas un berceau convenable. On attendait un Dieu bouche-trou de nos besoins, et nous trou­vons un Dieu qui est dans le besoin. Nous attendions un Dieu qui nous comble comme un gros Père Noël-gâteau, et nous trou­vons un Dieu fragile qui nous dit : « aime-moi ». Dans le bébé de Noël, nous devinons déjà le Christ des béatitudes qui dira avec une infinie bonté : Bienheureux les pauvres, bienheureux les doux, les pacifiques. Nous pressentons le sauveur donnant sa vie pour le monde : Dans le sapin de Noël s'inscrit déjà la Croix et la grotte évoque déjà le tombeau. Dieu se révèle aussi toujours neuf : Il est toujours en train de naître. Force est de constater que cette naissance n'a pas suscité un déplacement de foule. Après plus de 21 siècles d'évangélisation, le Christ n'est toujours pas venu pour tout le monde. Bien plus, le Christ est toujours affamé à travers le monde, démuni sur la paille des camps de réfugiés, toujours aussi pauvre là où le chômage dégrade, la misère prostitue, la violence engendre la peur. Si Jésus est né un jour du temps, il est surtout à naître, à mettre au monde parmi nous. Dans notre vie, il y a toujours un enfant à naître.

Alors, c'est Noël chaque fois que l'homme partage la vie de ses frères pour y semer l'amour.  C'est Noël chaque fois que quelqu'un fait un geste pour donner une place à ceux qui n'en ont plus. C'est Noël en définitive chaque fois qu'en regardant un visage d'homme, j'y discerne les traits de Dieu. Et en ce jour de fête, laissons défiler dans notre cœur et notre tête la liste immense de ceux qui ont besoin autour de nous d'entrevoir une lumière dans leur nuit. Vous comprendrez que dorénavant vous n'êtes plus seuls, puisque Dieu a choisi d'être définitivement Dieu-avec-nous, jamais plus sans nous. Dieu comme nous !  Noël, malgré le refus d'hébergement et le dénuement de la crèche, malgré les ripailles dont cette fête est l'occasion, malgré les immenses souffrances de tant d'enfants dans le monde, ne peut que réjouir profondément un cœur chrétien. Alors, s'il en est ainsi, n'hésitons pas à vivre cette nuit de Noël également dans la convivialité d'un bon repas, et dans la gentillesse de cadeaux réciproques. Le Verbe s'est fait chair. Que notre joie intérieure se fasse charnelle ! Dans les limites du raisonnable, bien sûr !

Homélie pour le 4ème dimanche de l'Avent

On s'est plu à souligner ‑ et on avait raison ‑ combien le plan de salut de Dieu était suspendu au « oui » de Marie. Dieu ne fait jamais rien pour l'homme sans l'homme. Le « Oui » de Marie a toujours inspiré à l'humanité une reconnaissance infinie envers celle qui a accepté d'être la mère du Sauveur. Mais on a tendance à oublier que Joseph lui aussi a été par­tie prenante de la grande aventure de la Rédemption. Sans être comme le oui de Marie une condition sine qua non, le « oui » de Joseph au plan de Dieu était capital : Il était chargé d'insérer Jésus dans l'authentique filiation de David. Autrement dit, Joseph n’a pas joué qu’un rôle de paravent, un cache-mystère de la virginité de Marie. Il n’a pas été que le père-la-soupe, chargé de nourrir une femme et un enfant. Sur la grande scène du Salut de l’humanité, il n’a pas eu qu’un petit rôle, disparaissant assez vite de l’histoire, son texte débité. Et s'il est déclaré juste, c'est aussi parce qu'il a accepté la mission importante que Dieu lui a donnée : Ne crains pas de prendre Marie, ton épouse... Une mission d'Epoux, une mission de Père ! Et l'Evangile relate sobrement cette obéissance toute naturelle du Juste : Quand il se réveilla, il fit ce que l’Ange lui avait prescrit, il prit chez lui son épouse. Epoux merveilleux, qui apportera à Marie protection, tendresse et réconfort. Epoux merveilleux qui respectera son désir de virginité et l’aidera à accomplir parfaitement sa vocation personnelle de Mère de Dieu. Père au plein sens du mot… Il est chargé de donner le nom à l’enfant. Et dans la bible, donner un nom, c’est vraiment lui donner existence. Ainsi Jésus, par l’obéissance de Joseph, peut devenir l’authentique descendant de David ; il est pleinement affilié à la lignée davidique. Que les pères se rappellent l'exemple de Joseph : le Père, c'est celui qui aime et exprime son amour ; le Père, c'est celui qui entoure de tendresse son épouse pour que ses enfants aient une mère heureuse ; le Père, c'est celui qui révèle, admiratif, à un enfant son iden­tité profonde, en lui révélant une qualité dominante qu'il a vu briller en lui. Nous aussi, en cette veille de Noël, en méditant la vocation de Joseph, nous avons à nous dire que nous avons notre place dans la grande histoire du salut : Dieu ne fait rien pour nous, sans nous. Dieu attend notre « oui ». N'attendons pas trop la visite d'un ange pour recevoir notre ordre de mission : l'appel de Dieu s'exprime tout simplement à travers les besoins raisonnables de ceux qui nous entourent : Besoins de notre conjoint qui attend un peu plus de tendresse, mais aussi un peu plus de respect et d'estime pour ce qui compte pour lui. Besoins de nos enfants, qui veulent une présence affectueuse, mais aussi des encouragements plutôt que des reproches. Besoins d'une société où tant de jeunes cherchent de vrais lea­ders, des adultes équilibrés et optimistes qui savent donner de leur temps et de leur cœur surtout pour inventer avec eux des investissements valorisants. Besoins de la paroisse, besoins variés, multiples, où toute personne de bonne volonté, peut trouver une occasion de développer ses dons ou ses charismes.

Bienheureux temps de l'Avent, temps de réflexion pour nous aider à sortir de notre apathie spirituelle pour nous insérer pleine­ment dans la grande aventure du salut, afin de faire grandir Jésus en nous d'abord, chez les autres ensuite.

Homélie pour le 2ème dimanche de l'Avent

Dès que le premier homme est apparu sur la terre, il a espéré, il a attendu. Pendant 3 ou 400.000 ans, les hommes ont regardé vers le ciel, espérant dompter ces forces de la nature qui les agressaient souvent ; ils attendaient l'immortalité comme en témoignent les tombes retrou­vées avec des récipients contenant des victuailles pour le défunt «en voyage». Et la 1ère fois que Dieu a rompu le silence, ce fut pour s'adres­ser à Abraham, et cela 1.800 ans avant Noël ! Et voilà que tout un peuple, le peuple juif, va devenir par excel­lence le peuple de l'attente. C'est long, deux millénaires ! Et les prophètes devront se relayer pour faire patienter ceux qui comme Siméon espéraient bien ne pas mourir avant d'avoir vu le Messie. Et le Christ est venu... enfin ! Mais les hommes d'aujourd'hui ne sont-ils pas toujours en attente ? Est-ce si sûr qu'il soit venu pour nos contemporains ? Soyons réalistes : plus de 3 milliards d'hommes et de femmes n'ont jamais entendu parler de Lui. Oui, pour eux, Noël n'a jamais existé. Ils sont toujours en Avent. Et de tous ceux de nos quartiers qui connais­sent le Christ, combien encore le prient ? Et nous qui entendons chaque dimanche l'Évangile, qu'avons-nous fait de son comman­dement : Aimez-vous les uns les autres, alors que nous avons encore tant de rancune contre un parent ou un voisin ? Qu'avons-nous fait de son retentissant « Bienheureux les pauvres », quand nous nous prélassons dans nos sofas devant la Télé ? Est-ce qu'il est venu pour nous ou est-il encore à venir ? Ne sommes-nous pas tou­jours en Avent ? Oui, l'homme moderne est en attente : l'attente fait partie de la condition humaine. Mais qu'attend-il vraiment, cet homme moderne ? Cet homme toujours pressé, toujours préoccupé, mais enfin après quoi court-il ?  Nous savons bien ce qu'il attend : la libération des contraintes quotidiennes, un sens à sa vie, la retraite à 60 ans et en prime si c’est possible l'immortalité. Oui, c'est simple, il attend le Bonheur avec un grand B, car il se sent programmé pour être heureux. Mais que c'est facile de se fourvoyer dans sa recherche du bon­heur ? Et nous savons bien combien l'homme est tenté de courir après des idoles qui ne manqueront pas de le décevoir, si ce n'est déjà fait. Et c'est là que Jean-Baptiste est toujours d'actualité : il nous rappelle que le chemin du bonheur ne passe pas par la voie royale de la facilité, mais par le sentier ardu de la conversion. Il nous demande une conversion, c'est-à-dire un change­ment radical de cap, une ré-orientation totale, un revirement, une véritable volte-face pour retrouver l'essentiel et ne pas continuer à jouer aux enfants gâtés... Jean-Baptiste nous demande de nous secouer, de nous convertir... et vite !

Jean-Baptiste nous demande un esprit de pauvreté : Quelle figure que ce Baptiste ! Vêtu sobrement d'une tunique en poils de chameau, il se nourrit écologi­quement des produits que la nature met sur sa route !

L'homme moderne et occidental a singulièrement amélioré son ordinaire : ses congélateurs regorgent de produits autrefois inabor­dables pour la plupart. À chaque Noël, à chaque anniversaire, un objet nouveau et sophistiqué vient augmenter la panoplie des robots plus ou moins utilisés d'ailleurs, tandis que les enfants fran­çais, les plus gâtés du monde, ne savent plus trop quel jouet ils vont bien « commander » au Père Noël prochain.

Mais surtout le Baptiste nous désigne Celui vers lequel nos regards doivent converger et à l'école duquel nous devrons nous mettre. Ce Messie vient remettre de l'ordre dans notre cœur, et non nous distribuer des sucreries spirituelles. Il vient nettoyer l'aire de notre cœur.

Cette transformation radicale, que l'Église nous demande au temps de l'Avent : Déjà la cognée se trouve à la racine de l'arbre. Ne laissez pas passer ce temps de grâces. Dieu, à cette période de l'année, fait des promotions ! Profitez-en sans tarder. Demain, il sera trop tard. Un jour ou l'autre, il faut bien cesser de définir ainsi la conversion : Ce qu'on est décidé à faire un jour et qu'on remet constamment à plus tard !

Homélie pour le 1er dimanche de l'Avent

Pas plus qu’il ne faut reléguer le déluge dans la nuit des temps, il ne faut davantage penser le retour du Seigneur, comme un évé­nement perdu dans l’infini du futur. C’est aussi un événement du présent : Le Seigneur vient à notre rencontre. Et le temps de l’Avent est un temps qui nous rappelle que chaque jour, nous sommes en attente quotidienne de sa présence. Dieu est neuf chaque matin. Jésus est là, et pourtant il veut se faire attendre pour la rai­son toute simple que l’amour a besoin de laisser un espace, une distance pour qu’un désir plus ardent jaillisse. Car l’attente n’est pas d’abord une question de temps, c’est une question de désir. La Vie est donc un Avent perpétuel. La liturgie de l’Avent creuse en nous cette soif de Dieu en centrant notre vie sur cet unique désir. On comprend alors le « Veillez et priez » de l’Evangile, non pas comme une menace mais comme une suppliante mise en garde contre ce risque de ne pas reconnaître le passage du Sei­gneur dans notre vie, contre ce raté possible de passer à côté d’une occasion fabuleuse de rencontre. Quel loupé magistral de côtoyer le Christ et de ne pas le reconnaître. Et le temps de l’Avent n’a pas pour but de nous préparer à une visite particulière du Seigneur à l’oc­casion de Noël, mais de nous mettre, tout au long de cette année liturgique qui commence, en situation de guetteur de Dieu, aux aguets constants de son action à nos côtés, aujourd’hui, demain... et pas seulement à la fin de notre vie. Hélas, trop souvent notre manque de foi nous met en hiber­nation spirituelle et l’Esprit-Saint doit faire appel à des réveille-matin puissants (comme la souffrance, une maladie, un deuil, un abandon) pour nous sortir de notre sommeil : nous sommes des marmottes de la vie spirituelle, des loirs de la foi vivante. Jésus peut sonner à la porte, mais nous n’entendons, nous dormons avec dans les oreilles les boules « Quies » de la peur de Dieu et de sa visite dérangeante. Il y a urgence à ne pas manquer le rendez-vous d’amour que Jésus a prévu chaque jour pour chacun de nous. Nous partons avec confiance pour une nouvelle année litur­gique, parce que nous savons que la grâce de Dieu nous y précède. Nous savons surtout que Dieu en nous donnant son Eglise, nous a confectionné cette arche pro­tectrice qui va nous permettre de franchir toutes les turbulences et les déluges d’un monde déboussolé. Signe merveilleux de sa présence parmi nous, l’Eglise est cette barque qui ne saurait som­brer Et tant pis, si parfois nous avons le mal de mer!

Homélie pour le 33ème dimanche ordinaire

Un nouveau séisme a eu lieu cette semaine appelé Donald Trump. Les salles de rédaction du monde entier rivalisent à qui mieux mieux pour diagnostiquer les répliques de ce tremblement de terre un peu partout dans le monde et notamment chez nous. Qu’allons-nous devenir ? Prenons garde à tous ces prophètes de malheur qui nous promettent punitions, et destructions qu’un dieu colérique infligerait aux hommes. Certains médias et certains politiques ont font leur fonds de commerce. Ne cédons pas aux mensonges de ces sirènes qui inquiètent, perturbent et finalement détournent de l’Évangile et de la paix qu’il promet. « DéTRUMPez-vous ! » « Prenez garde, nous redit Jésus aujourd’hui, de ne pas vous laisser éga­rer, car beaucoup viendront sous mon nom, et diront : “C’est moi”, ou encore : “Le moment est tout proche.” Ne marchez pas derrière eux ! Quand vous entendrez parler de guerres et de désordres, ne soyez pas terrifiés : il faut que cela arrive d’abord, mais ce ne sera pas aussitôt la fin. » Jésus nous met en garde contre les angoisses qui nous font rechercher un leader charismatique ou céder aux discours les plus alarmants. Le danger ne réside pas dans une révolution, mais dans les conflits qui peuvent en émerger. Le seul moyen d’y faire face consiste à enraciner notre confiance en Dieu.

Si Jésus ne nous a pas prédit une société paisible, il ne nous a pas pour autant enlevé l’espérance. Il sait bien que nous sommes faits pour le bonheur. Nous sommes faits pour l’épanouissement, voire le succès. Pas d’affolement : dans les pires difficultés, l’homme possède une capacité extraordinaire de survie. Trop souvent l’homme cherche une force à l’exté­rieur, alors qu’il possède en lui une puissance de guérison insoup­çonnée. Espérer, c’est donner un sens à ce qui semble ne plus en avoir. Pas d’affolement : le Seigneur est à nos côtés. Au lieu d’attendre son « retour », disons-nous qu’il est là, et faisons lui confiance. Pas d’affolement enfin au sujet de la fin des temps. La terre dis­paraîtra... dans 5 milliards d’années, disent les spécialistes. Et l’humanité a encore de beaux jours devant elle. Ainsi sans tomber dans le catastrophisme ambiant ou une vision apocalyptique de ce millénaire, sachons toutefois recon­naître que le monde d’aujourd’hui, si admirable par certains côtés, est capable d’aller rapidement à sa perte. Et même si nous échap­pons à des catastrophes, et malheureusement pas tous, pensons aux attentats et à leurs victimes dont nous célébrons le triste anniversaire, aux derniers tremblements de terre en Italie, échapperons-nous à une catas­trophe spirituelle due à la montée en puissance de l’individua­lisme, de l’hédonisme, du matérialisme desséchant de la société de consommation ? Même si les corps ne périront pas, les cœurs seront anesthésiés, les âmes détruites : c’est surtout en ce sens que Jésus nous dit : si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous. Il y a donc urgence de conversion. Non pas une conversion qui, par masochisme, recherche les privations les plus spectaculaires. Non pas une conversion pour se montrer à soi-même de quelle performance spirituelle on est capable. Non pas une conversion pour améliorer « son potentiel humain » comme on peut la faire par la psychanalyse, les stages de médi­tations transcendantales, la relation ou la nourriture bio. Non pas une conversion pour s’enorgueillir devant Dieu et devant les hommes de la nouvelle auréole qu’on se sera confec­tionnée. Mais une conversion pour s’arracher à son nombrilisme, se décentrer sur Dieu et pour apporter notre part dans la conver­sion du monde. Solidarité oblige. La conversion commence à notre propre niveau. Pour changer le monde, commençons d’abord par nous changer. Cette conversion suppose aussi un changement, une volte-face dans nos appréciations et nos comportements, un arrachement au ronron somnifère du quotidien, un recul pour voir les choses autrement. C’est tellement commode et confortable d’agir « traditionnellement », alors que nous sommes justement dans un monde en pleine mutation. Que nous ayons le courage de prendre la pelle pour nous atta­quer à telle de nos petites manies, de nos petites habitudes qui nous collent à la peau et gênent nos proches. Si bien que notre prière en ces derniers dimanches de l’année liturgique sera surtout une prière-écoute Seigneur, qu’attends-tu de moi... ? Quel changement dans ma vie te ferait vraiment plaisir ? L’homme voudrait connaître l’avenir. Alors, on consulte les astres, on court les cartomanciennes, qui ne sont pas en baisse d’effectif comme les prêtres. Un métier d’avenir, c’est le cas de le dire, dans une civilisation où la superstition pousse comme la mauvaise herbe là où l’on cesse de cultiver la religion ! Le chrétien n’a pas peur de l’avenir : il sait que cet avenir est entre les mains de Dieu. Alors, que lui importe ! Sim­plement, comme tous les hommes, il est pressé... mais pressé parce qu’il aime et qu’il attend son Dieu comme le fiancé sa bien-aimée, parce qu’il est tendu par l’amour vers l’Amour.

Homélie pour le 32ème dimanche ordinaire

Selon un sondage récent, 56% des catholiques pratiquants français interrogés croient en une vie après la mort, contre 31% de la population globale. Ce n'est pas nouveau : l'évangile d'aujourd'hui nous dit que déjà au temps de Jésus, les Sadducéens ne croyaient pas à la résurrection après la mort et tournaient en dérision ceux qui y croyaient. Le tout est de s'entendre sur ce mot : « résurrection ». Que voulons‑nous dire au juste quand nous affirmons dans notre credo : « Je crois à la résurrection de la chair... j'attends la résurrection des morts ? »

Il serait ridicule d'y voir un phénomène biologique. Il serait ridicule aussi de comprendre la résurrection comme un retour en arrière, un retour à une vie semblable à celle qu'on avait avant de mourir. Ce serait là une réanimation et non une résurrection. Il serait tout autant absurde de se représenter la vie des ressuscités sur le modèle de notre vie sur terre. C’est hors de nos prises scientifiques ou rationnelles. C'était là l'erreur des Sadducéens dont nous parle l'Évangile. Alors, si nous voulons être fidèles à Jésus, renonçons à imaginer le « comment » de la vie dans l’au-delà. Qu’y a-t-il de commun entre la chenille et le papillon ? C’est à la fois le même être qui continue, et pourtant, c’est une tout autre vie. Si la chenille était consciente de la mutation qui l’attend, elle ne chercherait pas à s’accrocher à sa vie rampante. Et, encore, ce n’est qu’une image ! Mais qui nous suggère de ne même pas essayer d’imaginer la vie éternelle, la vie de ressuscité, qui transformera nos corps.

Non ! la résurrection des morts n'est ni un phénomène biologique, ni une réanimation, ni un retour à une vie semblable à celle de maintenant. La résurrection des morts est une réalité toute spirituelle, qui relève uniquement de notre foi en Dieu : c'est un acte de Dieu, un passage définitif dans la vie de Dieu, un accomplissement en Dieu de notre vie d'ici‑bas toujours fragile et limitée. On ne peut en parler que par images, et les images sont toujours plus ou moins trompeuses. Mais que ce soit celle du festin, celle des noces, ou celle de la graine qui meurt en terre pour revivre au printemps, elles évoquent toutes la joie d'une merveilleuse aventure, une communion d'amour et de vie inimaginable, un don gratuit de Dieu.

Dès maintenant, nous sommes en apprentissage de notre vie de ressuscités ; nous sommes en train de ressusciter en nous laissant peu à peu transformer par Jésus au plus profond de nous‑mêmes, par notre foi en lui. Notre résurrection est progressive ; elle commence à l'intérieur de nous‑mêmes. Quand nous pensons « vie éternelle », ne pensons pas d'abord à une vie qui dure toujours, mais pensons d'abord à notre vie de maintenant en marche vers son su­prême accomplissement. Après avoir com­mencé à ressusciter dès maintenant au plus profond de nos vies, nous ressusciterons ensuite visiblement quand le Seigneur voudra. Puisque toute la vie de Jésus fut une affaire d'amour et que Dieu est amour, notre résurrection dépend de notre capacité d'aimer et de servir nos frères au jour le jour. « Quiconque aime est né de Dieu. Le signe que nous sommes passés de la mort à la vie et que nous sommes des ressuscités, c'est que nous aimons nos frères ». L’amour est plus fort que la mort !

Homélie pour le 31ème dimanche ordinaire

Selon un sondage récent, 56% des catholiques pratiquants français interrogés croient en une vie après la mort, contre 31% de la population globale. Ce n'est pas nouveau : l'évangile d'aujourd'hui nous dit que déjà au temps de Jésus, les Sadducéens ne croyaient pas à la résurrection après la mort et tournaient en dérision ceux qui y croyaient. Le tout est de s'entendre sur ce mot : « résurrection ». Que voulons‑nous dire au juste quand nous affirmons dans notre credo : « Je crois à la résurrection de la chair... j'attends la résurrection des morts ? »

Il serait ridicule d'y voir un phénomène biologique. Il serait ridicule aussi de comprendre la résurrection comme un retour en arrière, un retour à une vie semblable à celle qu'on avait avant de mourir. Ce serait là une réanimation et non une résurrection. Il serait tout autant absurde de se représenter la vie des ressuscités sur le modèle de notre vie sur terre. C’est hors de nos prises scientifiques ou rationnelles. C'était là l'erreur des Sadducéens dont nous parle l'Évangile. Alors, si nous voulons être fidèles à Jésus, renonçons à imaginer le « comment » de la vie dans l’au-delà. Qu’y a-t-il de commun entre la chenille et le papillon ? C’est à la fois le même être qui continue, et pourtant, c’est une tout autre vie. Si la chenille était consciente de la mutation qui l’attend, elle ne chercherait pas à s’accrocher à sa vie rampante. Et, encore, ce n’est qu’une image ! Mais qui nous suggère de ne même pas essayer d’imaginer la vie éternelle, la vie de ressuscité, qui transformera nos corps.

Non ! la résurrection des morts n'est ni un phénomène biologique, ni une réanimation, ni un retour à une vie semblable à celle de maintenant. La résurrection des morts est une réalité toute spirituelle, qui relève uniquement de notre foi en Dieu : c'est un acte de Dieu, un passage définitif dans la vie de Dieu, un accomplissement en Dieu de notre vie d'ici‑bas toujours fragile et limitée. On ne peut en parler que par images, et les images sont toujours plus ou moins trompeuses. Mais que ce soit celle du festin, celle des noces, ou celle de la graine qui meurt en terre pour revivre au printemps, elles évoquent toutes la joie d'une merveilleuse aventure, une communion d'amour et de vie inimaginable, un don gratuit de Dieu.

Dès maintenant, nous sommes en apprentissage de notre vie de ressuscités ; nous sommes en train de ressusciter en nous laissant peu à peu transformer par Jésus au plus profond de nous‑mêmes, par notre foi en lui. Notre résurrection est progressive ; elle commence à l'intérieur de nous‑mêmes. Quand nous pensons « vie éternelle », ne pensons pas d'abord à une vie qui dure toujours, mais pensons d'abord à notre vie de maintenant en marche vers son su­prême accomplissement. Après avoir com­mencé à ressusciter dès maintenant au plus profond de nos vies, nous ressusciterons ensuite visiblement quand le Seigneur voudra. Puisque toute la vie de Jésus fut une affaire d'amour et que Dieu est amour, notre résurrection dépend de notre capacité d'aimer et de servir nos frères au jour le jour. « Quiconque aime est né de Dieu. Le signe que nous sommes passés de la mort à la vie et que nous sommes des ressuscités, c'est que nous aimons nos frères ». L’amour est plus fort que la mort !

Homélie pour la Toussaint

L’Église nous convie aujourd'hui à fêter tous ceux qui ont réussi leur vie, ici-bas et dans l'autre monde. Dieu sait si ce n'est pas facile de réussir sa vie. Dieu sait si c'est pourtant le désir le plus cher de chaque individu. Et « Réussir sa vie », qu'est-ce à dire sinon réaliser notre désir légitime et puissant de bonheur ?

Or, l’Église aujourd'hui nous donne justement le code du bonheur, de l'homme heureux ou de celui qui veut le devenir. La sainteté n'a rien à voir avec tristesse et face de carême, elle fait très bon ménage avec la joie et le bonheur. Ce code des Béatitudes contenu dans l’Évangile d'aujourd'hui, n'est pas un code abstrait et mystérieux, même si sa forme paradoxale nous déconcerte : Heureux les pauvres ! Il faut oser dire une chose pareille. Code paradoxal mais parfaitement réalisable puisque ces saints tout simples que nous fêtons aujourd'hui sont précisément ceux qui ont vécu concrètement ces formidables béatitudes. Voulez-vous que nous essayions, pauvrement, d'en comprendre un instant le mystère tellement aux antipodes de ce que pense en général le monde moderne ? Le monde de Dieu est tellement un monde différent et nous sommes invités à vivre comme Dieu, à lui ressembler, à devenir pauvre comme Lui, doux et artisan de paix comme Lui, assoiffés de justice comme Lui.

Le monde nous dit : Heureux celui qui a de l'argent, la beauté, l'intelligence, le succès, les relations, des diplômes, du piston.

Le Christ n'a pas dit : Heureux les gagne-petits, les démunis de tout. Heureux les 20 millions d'africains, menacés de famine, les déplacés, les réfugiés parqués dans les camps. Heureux les tarés, les débiles, les nuls en math, les malades et les laiderons. Heureux les sans famille, les sans amour.

Le Christ a dit : Heureux les détachés ! Heureux ceux qui ne sont pas rongés par la maladie de l’avoir et par l'envie. Heureux ceux qui savent rire d'eux-mêmes, ceux qui ne sont pas encombrés d'eux-mêmes et acceptent leurs faiblesses avec humour. Heureux ceux qui apprécient ce qu'ils ont et n'en veulent pas toujours plus. Heureux ceux qui ont besoin des autres. Heureux ceux qui savent qu'ils ont besoin des autres. Heureux ceux qui savent se taire et écouter : ils apprendront des choses nouvelles. Heureux les petits, les simples, les humbles qui savent leurs indigences et leurs limites. Heureux ceux qui ont été vides d'eux-mêmes pour se laisser remplir de Dieu. Le royaume des cieux est à eux : Car ils sont libres et désentravés dès ici-bas. Ils sont délestés de tous ces fils qui retiennent l'homme dans son envol vers les autres et vers Dieu ; ils connaîtront les joies du don et accueilleront Dieu comme l'unique nécessaire.

Le monde nous dit : Heureux les durs, les musclés, les victorieux, les tyrannosaures qui foncent, même s'ils écrasent. Heureux ceux qui ne se laissent pas marcher sur les pieds, rendent coup pour coup, œil pour œil.

Le Christ n'a pas dit : Heureux les mous, les mièvres, les invertébrés, les béni-oui-oui, les édredons. Heureux les bons petits chrétiens bien sages. Heureux les peureux, les couards, les pères tranquilles. Mais le Christ a dit : Heureux les doux. Heureux ceux dont un simple regard pacifie un groupe, qui rassurent par une tendresse active. Heureux ceux qui sont patients, savent tenir sous le choc et encaisser avec calme leurs insuccès. Heureux les artisans de paix : Heureux les non-violents qui risquent leur place ou leur peau pour la paix. Heureux ceux qui savent reconnaître leurs torts et accepter les différences de l'autre. Heureux ceux qui ne font pas de l'argent en égratignant les autres dans leurs mémoires et trombinoscopes. Alors ils auront la terre promise, ils seront appelés fils de Dieu car ils régneront dans les cœurs, ils déstabiliseront les violents déconcertés de ne plus trouver en face d'eux peur ou agressivité. Ils ne feront ni déprime, ni infarctus, ils seront envahis par la tendresse même du Père.

Le monde nous dit : Heureux ceux qui s'amusent, ceux qui s'éclatent. Heureux les fêtards, les jouisseurs, les parvenus qui peuvent tout s'offrir. Heureux les émirs du pétrole, les stars couvertes de bijoux, les dieux du stade. Malheureux les allongés, les handicapés, ceux qui ont perdu un être cher.

Le Christ n'a pas dit : Heureux ceux qui pleurnichent, qui larmoient sans cesse, qui geignent et se lamentent. Mais le Christ a dit : Heureux ceux qui savent pleurer avec ceux qui pleurent. Heureux ceux qui ont le don des larmes et savent retrouver les pleurs d'abandon de l'enfant. Alors, ils seront consolés : ils retrouveront le sens de l’essentiel ; ils rompront les amarres qui les attachent aux hochets de la terre. Ils découvriront le goût de l'éternel et un jour Dieu essuiera toute larme de leurs yeux, leur donnant une joie qui est sans comparaison avec la souffrance passée.

Le monde nous dit : Heureux les débrouillards, les petits malins, ceux qui finissent par arriver. Heureux les finauds du système D, les habiles. Heureux ceux qui savent se servir des autres.

Le Christ ne dit pas : heureux les aigris, les râleurs, les jaloux du bonheur des autres. Heureux les résignés passifs devant les drames du monde. Mais le Christ dit : Heureux ceux qui luttent contre les ségrégations et les divisions ethniques. Heureux ceux qui reconnaissent qu'ils sont des privilégiés et agissent en conséquence. Heureux ceux qui se mouillent et risquent leur réputation pour la justice. Heureux ceux qui ne se laissent pas acheter par des pots de vin substantiels. Heureux ceux qui font de la politique (car il y en a) pour le service du Bien Commun. Heureux ceux qui s'interdisent de critiquer, quand eux-mêmes n'agissent pas ! Alors ils seront rassasiés : Rassasiés dès ici-bas, en connaissant la joie de rendre un coeur moins triste. Rassasiés dans le Royaume de demain où s'opéreront les grands chamboulements des hiérarchies et des grades, où les petits accéderont, comme Marie, aux places de choix.

Pour conclure, vous n'avez pas manqué de reconnaître au passage l'une ou l'autre qualité de ceux que vous avez connus, parents, amis, voisins, et qui vous ont quittés. En fait, tous d'une façon ou d'une autre ont aimé: l'Amour résume toutes les béatitudes. Ils sont dans la gloire et le bonheur parce qu'ils ont aimé. Ils sont au Royaume de l'amour. Ils n'ont pas fait forcément des actions éclatantes, mais ils ont fait l'essentiel, ils ont aimé simplement, pauvrement, avec leurs défauts inévitables, leurs faiblesses, et parfois cette incapacité de dire tout l'amour qu'ils cachaient dans leur coeur.

Mais alors, s'ils étaient des gens comme nous, il nous est possible aussi à nous de devenir ces saints de demain. Il suffit d'aimer. Peut-être qu'en définitive, la sainteté est plus à notre portée que nous ne pensions. Surtout si nous réalisons que, pour nous aider, nous avons maintenant dans le ciel tous ceux qui nous aiment et qui nous précèdent pour qu'un jour nous connaissions à notre tour les grandes festivités de la Toussaint de l'au-delà.

Homélie pour le 30ème dimanche ordinaire

Délicieuse parabole que celle du pharisien et du publicain. Tout chrétien la connaît parfaitement, sans être forcé­ment dérangé par son contenu. C’est incroyable, quand la lecture en est faite, comme chacun a l’impression qu’elle ne concerne que les autres. Car il est bien entendu que personne ne se reconnaît dans ce Pha­risien prétentieux et méprisant : les Pharisiens, ce sont toujours les autres. Difficile aussi de se reconnaître d’ailleurs dans ce publicain, grand voleur devant l’Eternel, pactisant avec l’ennemi romain, tri­potant ces infâmes deniers du Trésor frappés de l’effigie d’un Empe­reur-Dieu.  Et pourtant, si nous avions l’humilité de nous laisser interpeller par la parole de Jésus nous pourrions peut-être découvrir qu’il y a en nous un Pharisien qui s’ignore et aussi un Publicain qui aurait bien besoin de se reconnaître comme tel. Mais, c’est vrai, nous sommes dans un monde où les pharisiens sont une race qui pros­père assez bien, tandis que les publicains sont en voie de disparition.

Le pharisien de l’évangile étale ses mérites, se loue lui-même et ne parle que de lui. Dès lors ne sommes-nous pas, nous aussi des pharisiens chaque fois que nous mettons en avant nos mérites et nos oeuvres. Le pharisien de l’Evangile se compare aux autres qu’il méprise tout simplement.

Le publicain est lui aussi bien typé : Il est là, discrètement derrière un pilier, non parce qu’il aurait honte d’avoir la foi mais parce qu’habité par un profond sentiment d’indignité. Il ne juge pas les autres, il a assez de se juger lui-même. Il demande par­don, parce qu’il se sait pécheur, pécheur malheureux de l’être pécheur peut-être qui rechute constamment. Et sa prière monte, humble et bafouillante

Publicain, puissions-nous le devenir un peu plus : Dans le monde moderne, on demande des pécheurs ! Devant le phari­saïsme d’une société qui ne voit de faute nulle part, le Christ n’a plus sa place : quel péché pourrait-il bien pardonner, puisque l’homme n’en fait plus ! Il est renvoyé dans son ciel, en congé de salut : il n’y a plus personne à sauver ! Mais heureusement, il en reste quand même quelques-uns : Oui, Publicains, nous le sommes, chaque fois, que nous prenons conscience que nous n’aimons jamais assez ou que nous aimons mal.

Chaque fois que nous nous rappelons certaines pages de notre vie qui n’ont pas été reluisantes.

Chaque fois que nous trouvons les autres réellement meilleurs que nous.

Chaque fois que nous savons que le pardon ne peut venir que de Dieu.

En définitive, le grand péché de l’homme, c’est de ne pas assez réaliser que tout vient de Dieu. Tout ce que nous possédons en fait de qualités et de vertus vient de Lui. Il n’y a pas à s’en vanter. Mais surtout tout pardon vient de Dieu et de lui seul. Lui seul peut «justifier», rendre juste. Il suffit pour cela que l’homme se reconnaisse pécheur. Il suffit surtout qu’il croie que l’Amour de Dieu est tellement plus grande que sa misère.

Homélie pour le 29ème dimanche ordinaire

Devant les immenses besoins spirituels du monde, comment ne pas avoir envie de baisser les bras de découragement ! Jésus lui-même ne nous laisse-t-il pas une dramatique question, une parole énigmatique qui n'a rien de réjouissant : "Quand le Fils de l'homme reviendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre ?" Heureusement que la parabole de l'Evangile que nous venons d'entendre nous apporte une formidable raison d'espérer et nous donne la première réponse au grand souci missionnaire de tout chrétien digne de ce nom : PRIEZ ! Mieux que ça : PRIEZ AVEC INSISTANCE. Mieux que ça : FATIGUEZ, Dieu avec vos prières. Ne lui laissez pas une minute, harcelez‑le. Rebattez‑lui les oreilles de votre angoisse apostolique. (Cassez‑lui les pieds ! ce serait le mot juste s'il n'était irrespectueux.) Regardez donc ce mauvais juge de la parabole : il n'a rien de sympathique : c'est un juge ripoux, vénal et sans scrupule. En face de lui, une personne qui n'a aucun poids à ses yeux : une femme ! une veuve ! Visiblement avec ce personnage, elle n'a aucune chance d'être entendue : elle n'a pas les moyens de l'acheter, ni le charme pour le séduire, il aura vite fait de lui dire d'aller voir ailleurs. Mais la femme est têtue : elle veut que justice lui soit rendue. Elle fera du sit-in devant le tribunal, mais elle ne lâchera pas ! Et le juge, pour avoir la paix, pour ne plus avoir les oreilles cassées, va accéder à sa requête. Alors, nous dit Jésus, rendez‑vous compte. Ce que fait un mauvais juge, croyez‑vous donc que Dieu, a fortiori, ne va pas le faire pour ceux qui crieront bien fort, jour et nuit, à lui casser la tête ?

C'est la prière persévérante qui est efficace : Priez et témoignez ! Avoir Dieu dans ses yeux ! Rayonner de joie : Cherchez à rendre heureux vos cœurs par la prière, soyez la joie de tous les hommes. Soyez par votre vie des témoins de la joie de Dieu. Nous sommes sur terre pour montrer aux autres, à travers nous, que Dieu nous aime. Que notre joie de chrétien, de ressuscité, donne aux autres le goût de Dieu. La Semaine missionnaire mondiale débute ce dimanche par ce thème : « Annoncer la miséricorde ! ». Comme la prière, le pape François nous dit que la miséricorde est le pilier qui soutient la vie de l’Eglise. A mon tour, je peux m’interroger : de qui ai-je reçu l’Evangile de la miséricorde ? Qu’est-ce que cela m’apporte ? Comment puis-je à mon tour le proposer, ici et jusqu’aux extrémités de la terre ? Un travail missionnaire étonnant et discrètement se fait de par le monde pour continuer à porter au loin la Bonne Nouvelle. Et, chez nous, en France, n’oublions pas tout ce qui se vit de riche et d’exceptionnel simplement ici dans notre paroisse. À notre échelle : Soyons à l'écoute des besoins, et inventons, de grâce, des solutions neuves. Créons des communautés liturgiques vivantes et chaleureuses. Luttons contre la peste des divisions entre chrétiens, entre catholiques aux sensibilités diverses : n'a‑t‑on pas autre chose à faire que se quereller entre nous pour des détails, quand l'incroyance moderne demande une action forte, unie, énergique de tous les croyants. Parrainons un missionnaire actif. Nous accueillons ces jours-ci un délégué de la cathédrale sœur du diocèse de Ouahigouya. Notre paroisse sera bientôt jumelée avec la leur. Travaillons ensemble à la réussite de ce jumelage. On accepte volontiers de donner pour l'humanitaire, pas toujours pour l'avancée de la foi elle‑même. Enfin, ayons le courage de PROPOSER le beau risque de la Foi. Certes, l'Evangélisation n'est pas du racolage, de la propagande, de la conquête, du prosélytisme. Elle est respect de l'autre et du cheminement de la grâce en son cœur. La charité a du tact dit St Paul. La pauvreté apostolique consiste à proposer sans imposer. Il faut respecter le Saint‑Esprit qui travaille en eux... Il ne faut pas semer quand il gèle. Non, Evangéliser, n'est pas une corvée c'est un besoin du cœur, un rare bonheur ; ce n'est pas prêcher, c'est donner à Dieu des fils. Comme le fait dire Eloi Leclerc à St François d’Assise : « Évangéliser un homme, vois-tu, c’est lui dire : Toi aussi, tu es aimé de Dieu dans le Seigneur Jésus.  Et pas seulement le lui dire, mais le penser réellement.  Et pas seulement le penser, mais se comporter avec cet homme de telle manière qu’il sente et découvre qu’il y a en lui quelque chose de sauvé, quelque chose de plus grand et de plus noble que ce qu’il pensait, et qu’il s’éveille ainsi à une nouvelle conscience de soi.  C’est cela, lui annoncer la Bonne Nouvelle. »

 

Homélie pour le 28ème dimanche ordinaire

Comme l’ingratitude est difficile à supporter. Même le Christ a aussi souffert de l’ingratitude des hommes, et dans cette histoire des 10 lépreux de 1’Evangile de ce jour, on voit combien il a été franchement déçu. « N’ont-ils pas tous été guéris ? » Heureusement, un lépreux a su dire sa reconnaissance, et Jésus a été admiratif pour cet homme, qui n’était pourtant qu’un samaritain, c’est-à-dire pour les juifs du temps de Jésus, un schismatique. Quelle belle occasion pour nous de nous interroger sur notre propre ingratitude par rapport à Dieu et aux hommes, mais aussi, positivement, de savoir reconnaître les qualités de cœur des autres. Evangile de la Reconnaissance, aux deux sens de ce mot : Reconnaissance de ce que nous devons à Dieu, mais aussi reconnaissance des richesses de cœur des plus défavorisés. Si tout homme doit une reconnaissance normale, j’allais dire viscérale, à ses parents qui lui ont donné la vie, combien plus devrait-il faire de ses journées une action de grâce permanente, pour ce Dieu à qui il doit strictement tout ce qu’il est, tout ce qu’il a !

            Grande pourtant est son ingratitude envers son Créateur :

- Regardez d’abord les lépreux de l’Evangile : ce ne sont pas de mauvais bougres en fait ! Au départ, ils sont même très sympathiques. Ils respectent la loi. Ils ont confiance en lui, puisqu’ils le supplient de les guérir. Mais surtout, quand Jésus les envoie aux prêtres, ils y courent, alors qu’ils ne sont pas guéris. Ils ont foi en la parole de Jésus : ils parient sur leur guérison. Mais voilà, une fois guéris, ils ne sont pas venus remercier ! Pourquoi ? N’y ont-ils pas pensé ? Etaient-ils tout à la joie de leur guérison au point de penser avant tout à arroser ça avec leurs amis enfin abordables ? Et puis, n’avaient-ils pas fait tout leur devoir : ils étaient allés se présenter aux prêtres : n’était-ce pas ça que Jésus voulait ?

- Regardez l’attitude générale des hommes : il ne viendrait pas à l’idée de la plupart des humains qu’ils pourraient avoir un quelconque devoir de reconnaissance envers le Créateur.

- Regardons-nous, nous-mêmes ! Ce soudain besoin de Dieu, quand nous traversons une difficulté. Cet oubli de le remercier de ses bienfaits. Cette facilité de le laisser tomber quand le danger a disparu. Cette utilisation très quelconque de tous les dons que Dieu nous a faits : amour, intelligence, qualités, argent, emploi. Place donc à la reconnaissance, à l’action de grâce, à la louange.

Mais « Reconnaissance » a un autre sens : il est prise de conscience des richesses d’une personne, admiration pour quelqu’un, qui, justement, dans ce cas, se sent « reconnu ». Le « bon » lépreux de l’Evangile efface toute l’ingratitude des 9 autres. Et par dessus le marché, celui-là était samaritain. Et c’est celui-là qui va trouver dans son cœur le geste de délicate reconnaissance. Il se prosterne devant lui pour lui dire un merci joyeux et gratuit. Croyons en l’homme, croyons qu’il est capable de Dieu ! Chaque homme est une merveille, même et surtout ceux que nous ne voyons pas comme tel. Ce qui suppose que nous renoncions à juger trop vite ceux qui sont différents de nous.

Dans la période de crise que nous traversons, la tentation est grande de développer notre tendance toute naturelle à la défiance, voire au racisme : les lépreux sont parmi nous ! On les appelle bénéficiaires du RSA paresseux, chômeurs vivants au crochet de ceux qui travaillent, handicapés qui nous coûtent cher, migrants, intégristes de tout poil.

Qui peut avoir la prétention de lire au fond des cœurs ? Laissons à Dieu le soin de le juger, et regrettons une conjoncture économique grave qui risque de fabriquer en série des marginalisés et des exclus, marionnettes faciles ensuite à manipuler pour les causes les plus discutables. Ce qui suppose que nous luttions pour une société qui respecte les individus. TOUS. Tout se tient : Ingrats envers Dieu, ingrats nous serons envers nos frères. Reconnaissants envers Dieu. Reconnaissants nous serons envers nos proches ! De même si nous savons reconnaître, sans juger, le merveilleux qui est chez nos frères, nous découvrirons, sans juger non plus, le merveilleux qui est en Dieu, cet Amour formidable qui le constitue.

Homélie pour le 27ème dimanche ordinaire

Tout apôtre a besoin d’une foi intrépide, une foi solide et étayée, une foi à transporter les montagnes, à déraciner un arbre. Or la foi n’est pas toujours aussi simple à posséder. Même pour les apôtres. Et pourtant : ce sont ces apôtres-là, ces « petits vernis » de la foi, qui lui disent, avec un sentiment de pauvreté infinie : Augmente en nous la foi ! Réconfortante parole pour nous, qui nous plaignons si souvent de notre manque de foi, de nos doutes. Nous, qui avons dix fois plus de raisons de crier au Seigneur : Fais grandir en nous la foi. Oui, nous avons besoin de Dieu. C’est que la foi est un don de Dieu, il ne faudrait pas l’oublier. Ainsi ce ne sont pas les parents qui donnent la foi à leurs enfants. La foi ne se transmet pas comme le virus de la grippe. Elle est cadeau de Dieu. Certes, il y a, dans la foi, une part qui vient de l’homme. L’homme doit apporter un désir profond de chercher la vérité, et une grande loyauté pour la reconnaître à travers les signes, les clins d’œil que Dieu lui fait. Mais il y a aussi et surtout la part de Dieu. D’abord en ce sens qu’il place sur notre route, les traces, les signes de sa présence. La foi est une connaissance par signes, mais des signes, il n’en manque pas (et la qualité de vie des parents peut être un signe lumineux pour les enfants). Mais Dieu agit surtout par sa grâce d’illumination qui permet à l’homme de bonne foi de reconnaître et de décoder le signe. Dieu donne encore une grâce à l’homme de bonne foi pour ne pas fuir la vérité. La tentation de l’homme en face du surnaturel, c’est de remettre en doute l’évidence du signe. Dieu peut bien faire tous les miracles du monde, si les hommes ne veulent pas les interpréter en vérité, ils trouveront une bonne raison pour les nier. Il y a un rationalisme légitime de l’esprit humain qui exige des faits... pour les nier aussitôt s’ils ne lui apparaissent plus naturels. Il y a un scepticisme systématique de l’esprit qui se veut scientifique qui finit par douter de tout, y compris de sa propre existence. Ah ! disait Renan, si Dieu venait faire un miracle devant un aréopage de savants, on croirait. Est-ce si sûr ? On dirait alors qu’on serait en face d’un phénomène actuellement inexplicable, c’est tout ! Il y a une peur de Dieu, des conséquences de la foi qui va nous obliger peut-être à changer de vie, qui fait qu’on s’ingénie à trouver à tout prix une explication naturelle. Il y a une idéologie, qui exige qu’on recherche une explication à l’inexplicable ailleurs qu’en Dieu. Voilà pourquoi ce sont aux simples, qui n’ont pas l’esprit embué par l’orgueil ou le rationalisme, que sont plus facilement révélés les mystères de Dieu. Elle a dû être plutôt coriace et dure à diriger pour les apôtres cette parabole du serviteur qui s’est mis en quatre pour servir son maître et qui s’entend dire : Tu n’as jamais fait que ton devoir ! Quel coup de pied le Christ donne dans la taupinière de l’orgueil apostolique, pour tous ceux qui auraient tendance à dire : Seigneur, on a tout quitté pour toi... La parole de Jésus tomberait plutôt mal dans notre société moderne où l’on ne nous parle que de nos droits et si peu de nos devoirs. C’est qu’il n’y a pas de syndiqués dans le Royaume de Dieu. Pour la bonne raison que Dieu seul a le droit d’être le premier servi, et que dans un univers où tout est cadeau, rien ne peut être revendiqué. Elle a dû être coriace et dure à digérer pour les apôtres cette autre parole de l’Evangile : vous êtes des serviteurs inutiles, des serviteurs quelconques, des serviteurs bons à rien. Voilà, c’est clair : Quand vous vous êtes bien éreintés pour le royaume. Quand vous avez sacrifié de douces soirées devant la télé pour aller animer des réunions. Quand vous avez donné de votre argent et de votre temps pour la cause. Quand vous avez passé une vie à vous dévouer pour l’Eglise, vous avez bien entendu : vous êtes des serviteurs inutiles Allez-vous-en avec ça. Et pourtant, dans l’Evangile on parle bien de ces serviteurs fidèles et efficaces à qui le maître donnera d’entrer dans sa joie. Mais justement il s’agit de ces serviteurs qui ont compris que leur action ne devient utile et efficiente que si elle est fécondée par l’action de Dieu. Sans moi, vous ne pouvez rien faire nous dit le Christ. Mais il aurait pu ajouter : Avec moi, vous pouvez faire des miracles. Voilà pourquoi des parents chrétiens pourront transmettre leur foi dans la mesure où le rayonnement de leur vie sera appuyé sur une prière fervente pour demander à Dieu la grâce de la foi pour les êtres qu’ils aiment. Vous êtes des serviteurs inutiles ; mais si  vous vous laissez aimer de Dieu, vous devenez ses amis. Serviteurs inutiles tant qu’on voudra, mais pour devenir des amis efficaces, parce qu’animés, illuminés, transfigurés par l’Esprit de Jésus

Homélie pour le 26ème dimanche ordinaire

Ce qui est merveilleux dans l'Evangile, disait quelqu'un, c'est que j'ai toujours l'impression que ce texte vieux de 2000 ans a été écrit exactement pour moi. Toujours neuf, toujours opportun, toujours juste, non seulement il n'a pas pris une ride, mais il a le chic de souvent « taper dans le mille » pour éclairer ou déranger !

Et l'Evangile d'aujourd'hui en particulier, est bien, comme tant d'autres, d'une criante opportunité : on le croirait écrit pour cette fin de siècle. N'appartenons‑nous pas en effet à un monde où se réédite le terrible fossé qui sépare, dans la parabole, l'homme pauvre de l'homme riche ?

Regardez la scène évoquée par cette saisissante parabole : le riche est bien situé : il est chez lui, à table, confortablement installé dans son fauteuil. Il n'a pas de nom, car il peut avoir le nôtre.

Le pauvre est à terre, sans domicile, chez un autre, essayant de se faire tout petit. Il s'appelle Lazare.  Dieu nomme les petits, ce sont ceux qu'il préfère.

Le riche est devant une table bien garnie. Le pauvre essaie de voler les quelques reliefs que le maître négli­gemment tend à son chien sous la table.

Deux mondes totalement séparés, totalement différents.

Et pourtant ce riche n'est pas totalement un mauvais bougre. On a vu pire dans le genre ! ‑ il ne chasse pas Lazare à coups de pied ; il n'appelle pas la police pour le faire expulser. Il aura même, quand il sera mort, un réel souci de ses parents restés sur terre.

Mais il est un mauvais riche, parce qu'en fait, il n'a pas VU, il n'a pas vu ou n'a pas voulu voir la misère de Lazare. On ne dit pas assez qu'aimer, c'est voir. Il n'a pas vu, donc il n'a pas aimé. Et le comble, dans la parabole, c'est le chien qui voit Lazare puisqu'il lui lèche les plaies. Sans doute un chien d’aveugle.

Aimer, c'est voir, on l'oublie trop souvent : combien d'entre nous en arrivant dans leur éternité, seront étonnés d'entendre Dieu leur dire : ‑ "Pourquoi n'as‑tu pas apporté plus de tendresse à ton prochain ?" Et le Seigneur nous répondra peut-être : "parce que tu n'as pas vu ; tu as péché de n'avoir pas vu, car aimer, c'est voir".

Or justement, les richesses en particulier, ont ce don de rendre aveugle, de rendre indifférent à la misère d'autrui, de bloquer chez l'homme, avec d'excellents alibis, cette plaque sensible mise par Dieu en tout être humain pour le rendre sensible à la souf­france d'autrui. Terrible fossé d'incompréhension qui, dans la parabole, semble devoir se continuer dans l'éternité, avec cette fois un inversement brutal des situations. Lazare est dans la joie de Dieu, le riche est rongé par le feu du regret. Et entre les deux un nouvel abîme, un fossé quasiment infranchissable. Dieu serait‑il à ce point aussi dur qu'il aurait mis entre les justes et les méchants une telle séparation ? Une sorte de glace incassable qui permettrait aux méchants de souffrir davantage encore en découvrant ce qu'ils ont raté, et en salivant, impuissants, devant la joie dont ils seront frus­trés ? Non, ce fossé n'a pas été creusé par Dieu, mais par notre propre égoïsme. Nous voilà avertis ! Il est creusé dès ici ­bas et il entre avec nous dans l'éternité. Sera‑t‑il comblé un jour ? Il ne peut l'être que par Dieu. Le mystère demeure : laissons à son Amour infini le soin de trouver le moyen de sortir le mauvais riche de son mauvais pas.

Si cette page d'Évangile est si forte, si violente, c'est parce qu'il faut, sans doute, un énorme coup de trompette pour réveiller quelqu'un qui vit sous anesthésie puissante. Or, beaucoup d'hommes, aujourd'hui surtout, vivent dans une sorte d'anesthésie spirituelle. Les valeurs du royaume sont absentes de leur vie. « Quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts, ils ne seront pas convaincus... » dit Abraham au mauvais riche. C'est bien le cas. On continue à ne pas croire ce Jésus qui, ressuscité des morts, vient nous réveiller pour nous crier l'urgence d'une Bonne Nouvelle, que nous soyons riches ou pauvres.

Homélie pour le 25ème dimanche ordinaire

Telle est la parabole que l'Eglise nous fait lire aujourd'hui. Une parabole souvent mal reçue, car elle a pu donner l'impression que le Christ approuvait la malhonnêteté de l'intendant, alors qu'elle veut traduire simplement sa souffrance de voir les fils des ténèbres plus habiles que les fils de lumière. Cette parabole nous interroge fortement : Que faisons‑nous de nos talents ? Que faisons‑nous de notre matière grise ? De notre intelligence ? Si nous l'utilisions davantage pour thésauriser pour l'Essentiel ? Pour faire avancer le Royaume. Il n'est pas défendu d'être intelligent en particulier pour utiliser au mieux son argent. Non pas dans la recherche des meilleurs placements, dans la pierre ou dans la bourse, mais pour une fructification à long terme... à très long terme !

Nos sociétés occidentales incontestablement font un gâchis inouï des richesses de la planète. Et ne nous en prenons pas seulement aux autres, aux respon­sables. Nous aussi, nous faisons partie de cette civilisation du Caddie. Qui d'entre nous ne s'est pas laissé tenter par des achats parfaitement inutiles et inutilisés. Qui d'entre nous, par rapport à la société où il y a tant de pauvres, n'est pas, lui aussi, un éco­nome infidèle ? Le Seigneur ne condamne pas l'argent tant que nous en faisons un serviteur mais seulement quand il devient une idole, le dieu Mammon, quand il devient en fait notre maître. A nous de bien l'utiliser comme des fils de lumière, lui donnant une destination bienfaisante. Le Christ, dans cet Evangile, met surtout l'accent sur l'argent que les « fils de lumière » ne savent pas utiliser à des fins émi­nemment élevées. Mais ce n'est pas déformer la pensée de Jésus que de penser que le Christ demande aussi aux « fils de lumière » d'avoir l'habileté des fils des ténèbres pour cette fois proclamer la Bonne Nouvelle.

N'est‑il pas effarant de constater la somme de matière grise qui est employée pour avilir l'humanité !

Oui, si les « fils de lumière » avaient la même ingéniosité, la même ardeur, la même persévérance pour crier au monde qu'ils sont tous frères, et tous, fils du même Père qui les aime.

Il n'est pas défendu d'être intelligent dans la présentation de la Bonne Nouvelle au monde.

Il n'est pas défendu d'aller à la rencontre de nos frères avec la simplicité de la colombe, mais la prudence du serpent.

Il n'est pas défendu d'être assez intelligent pour avoir un brin de prospective, se rendre compte non seulement de ce qui se vit aujourd'hui, mais surtout des évolutions qui s'annoncent.

Il n'est pas défendu de proposer à son curé, à son évêque des solutions nouvelles.

Assez de lamentations sur notre monde ou de « mea culpa » continuels sur ce que nous faisons mal en Eglise. Agissons. Intelligemment. A commencer par répondre aux appels que peut nous lancer notre paroisse. Il y a tant à faire. Nous sommes chaque dimanche ici à Sainte Marie ou à la cathédrale confortablement assurés que la messe sera célébrée. Il ne s’agit pas de se culpabiliser, parce que d’autres en rural non pas la même chance, mais de se réjouir et de se rendre compte de la richesse que nous avons. Mais sans prêtre, qui célèbrera un jour la messe ici comme ailleurs. Il y a des jeunes dans nos assemblées quoiqu’on en dise, même s’ils sont peu mais animés par toujours la même générosité que leurs ainées. Alors sera-t-il dit que je serai le dernier des mohicans sur le chemin de l’Evangile. Le Christ appelle plusieurs d’entre nous. Allons-nous lui tourner le dos parce qu’on a mieux à faire, parce qu’on veut comme je l’entends souvent de la bouche de certains jeunes gagner plein de tunes, parce que notre société hyper sexualisé fait paraitre le célibat comme ringard et déshumanisant. Rassurez-vous, le célibat vécu au service des autres est d’une fécondité que vous n’imaginez pas et vous rend parfaitement heureux. Pas d’eucharistie sans prêtre et pas de prêtres sans eucharistie. Ce sera notre prière suppliante pour que nous ne laissions pas comme le disait si bien le curé d’Ars : une paroisse sans prêtres car dans 20 ans on y adorera des bêtes ». Alors cette année, au lieu de rester calfeutrer chez nous et dans nos certitudes, cherchons toujours à faire mieux, à faire plus, davantage disait St Vincent de Paul. On disait à l’abbé Pierre : c'est admirable ce que vous faites, mais lui, voyait surtout ce qu’il n’avait pas fait.

Homélie pour le 18ème dimanche ordinaire

Alors que nous cherchons le repos en vacances, les lectures de ce dimanche sonnent comme des provocations. L'Évangile, bonne nouvelle, serait‑il un message rabat‑joie ? A l'homme qui s'estime lésé dans un partage et lui demande son arbitrage, Jésus dénonce le caractère dérisoire de la querelle : que représentent quelques arpents de terre au regard d'une vie d'homme ? L'on tue parfois pour défendre des biens de peu de valeur. Parce qu'on y tient. Or, même s'ils sont le fruit de beaucoup d'efforts, que sont ces biens comparés à une vie d'homme, à notre vie, ou encore à l'harmonie d'un couple ou d'une famille ? En nous invitant à faire la lumière sur nos choix la parabole du riche insensé rappelle une sagesse millénaire. Mais n'est-elle que cela ? Le message de Jésus a une tout autre dimension. La dernière phrase de la parabole, un peu énigmatique, nous en donne la clé en opposant « l’homme qui amasse pour lui‑même » et « le riche en vue de Dieu ». Le sens de cette phrase se trouve dans la conclusion de ce passage que nous n'avons pas lu : « Vendez ce que vous possédez, donnez‑le en aumônes. Faites vous des bourses inusables, un trésor inaltérable dans les cieux ; là ni voleur n'approche, ni mite ne détruit. Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur ». A quoi, à qui donc donnons‑nous notre amour ? Qu'est‑ce qui compte vraiment pour nous ? Y a‑t‑il une personne pour laquelle nous sommes prêts à donner tout ou partie de nos efforts, de nos biens ? Y a‑t‑il une cause pour laquelle nous serions prêts à donner notre vie ? Bien peu d'entre nous auront à faire un jour un choix aussi radical. Bien peu également sont appelés à se défaire de tous leurs biens pour en faire don, comme un François d'Assise. En revanche, nous connaissons tous des dévouements obscurs qui, sans bruit, dans la plus grande discrétion, vont jusqu'à l'abnégation totale. Par amour. Qu'est‑ce qui compte vraiment pour moi ? ‑ Posons‑nous la question loya­lement, dans le silence de nos cœurs. Mon confort ? Mon plaisir ? Mes biens ? Ma vie ? Le bonheur de ma famille ? Des relations harmonieuses au sein de mon entreprise ? Le respect de mes droits ? Des droits des autres ? de tous les autres, quelle que soit la couleur de leur peau, quelles que soient les opinions qu'ils professent ? Suis‑je bien persuadé que toute vie a du prix aux yeux de Dieu ? Que suis‑je prêt à donner pour aider un homme tombé à se remettre debout ? Qu'est‑ce qui comp­te pour moi ? Où est mon trésor ? Saint Paul nous dit : « Recherchez les réa­lités d'en haut. Tendez vers les réalités d'en haut et non pas vers celles de la terre ». Ce que nous célébrons en chaque eucharistie, nous avons à le vivre au long des jours. C'est dans la générosité de l'amour que nous atteindrons la joie qui nous est promise.

Homélie pour le 17ème dimanche ordinaire

Un jour un cordonnier se présenta chez un rabbin pour lui dire qu'il souffrait de faire de si pauvres prières du matin : Parfois, je la fais très vite, parfois je l'oublie, alors quand au travail je m’aper­çois de mes oublis, j'entends mon cœur soupirer : Que je suis mal­ chanceux de ne pouvoir faire ma prière. Et le rabbin répliqua : Si j'étais Dieu, j'apprécierais plus ce soupir que la prière elle‑même. Peut‑être faut‑il, pour apprendre à prier, prendre conscience de notre médiocrité en ce domaine. Comme le cordonnier de l'histoire, comme les apôtres de l’Évangile, nous devons d'abord connaître cette souffrance de prier si mal ou si peu. Mais heureusement Jésus vient à notre secours : D'abord en nous donnant son Esprit car la prière est un élan vers Dieu qui ne vient pas des hommes mais de l’Esprit : Non, nous ne savons pas prier comme il faut, mais l’Esprit lui‑même intervient pour nous par des cris inexprimables. Ensuite, en mettant sur nos lèvres sa propre prière de Fils. Il nous a « mâché le travail » en donnant à Ses apôtres, ce fameux « Notre Père », ce joyau de prière, merveilleux de sobriété et de concentration sur l'essentiel. Jésus semble nous dire : « Vous trouvez que c'est difficile de prier, et je vous comprends, vous allez chercher beaucoup trop loin ce que vous avez à dire à Dieu ! Parlez‑lui donc le plus simplement du monde comme un enfant parle à son Père. L’enfant ne cherche pas ses mots, il ne fait pas de belles phrases, il laisse son cœur s'exprimer, et le père est ravi. » Alors, au lieu de disséquer le « Notre Père », de disserter sur son contenu, si nous essayions tout simplement de le « prier » comme le ferait un enfant ?

Que notre prière soit d'abord désintéressée. Avant de dire à Dieu nos propres besoins, nous avons à prier, selon Jésus, aux intentions mêmes de Dieu : Père, que Ton nom soit sanctifié, que Ton règne vienne. On ne demande rien pour soi. On commence par demander pour Dieu. Et l'on demande quoi ? « Que Son nom soit reconnu comme saint », c'est‑à‑dire parfait. Or, nous le savons, le nom de Dieu est Père, amour... Notre première demande, c'est donc que le Règne de l'Amour vienne, que Dieu amour anime de l'intérieur toute Sa création. Que l'Amour soit vraiment la loi de l'univers et de toute l'humanité. Et il semble évident que nous ne pouvons pas faire cette prière sans travailler nous‑mêmes à faire grandir ce Règne de l'amour. Non, ce n'est pas une prière magique, ou paresseuse. C'est une prière qui nous engage... de toutes nos énergies… à aimer.

Après avoir d'abord fait nôtres les « objectifs du Père », nous pouvons maintenant formuler nos propres désirs. Jésus nous en suggère trois : Le pain... le pardon... la liberté

« Donne‑nous, chaque jour, le pain dont nous avons besoin... »

Remarquons le pronom personnel « nous », au pluriel. Chacun ne prie pas « pour soi ». « Donne‑Nous... » Il est évident, encore, que si notre prière est vraie, elle nous engage à partager notre pain avec ceux qui ont faim. Rien de magique ! Et puis, Jésus nous conseille de demander « de pouvoir pardonner » ... c'est‑à‑dire de transformer nos relations ratées par la rancune ou la jalousie, en relations nouvelles d'amour. Rien d’aliénant !

Enfin, la grande tentation dont Jésus nous demande d’être délivrés, c'est précisément d’« être soumis au mal... » aliéné par le mal... esclave. Oui, Jésus, apprends‑nous à prier de cette manière‑là.

Elle est parfaite ta prière, ô Jésus, et telle­ment riche. Et pourtant, si tu le permets, je voudrais y ajouter trois petits mots en disant à ton Père, de toutes mes forces et de tout mon cœur : « JE T'AIME ». Je n'ai que trop tardé dans ma vie à le dire. Comme chez St Augustin, monte en moi un immense regret de n'avoir pas su trouver les mots tout simples de l’amour : Je t'ai aimé bien tard beauté si ancienne et si nouvelle. Mais voilà : tu étais en moi quand je te cherchais au dehors... tu m'as touché et je me suis enflammé pour obtenir la paix qui est en toi.

Homélie pour le 16ème dimanche ordinaire

Abraham est d'ordinaire présenté comme notre père dans la foi. Le récit d'aujourd'hui nous en détaille les caractéristiques : la noblesse de ses manières, son respect de l'autre, son sens de l'accueil, sa générosité. Abraham, un personnage d'âge vénérable, riche et puissant. Et pourtant, avec quel respect il traite ces trois hommes qui se présentent. Il n'a pas reconnu en eux le Dieu qui lui est déjà apparu plusieurs fois, mais à ces étrangers qu'il ne connaît pas, il manifeste le plus grand respect. Il emploie à leur égard les formules raffinées de la politesse orientale. Il suffit que ces gens soient des personnes humaines pour qu'ils soient dignes, respectables à ses yeux. Pas besoin de reconnaissance sociale, de titres, d'appartenance au même groupe. Abraham va plus loin encore. Il sait accueillir, il offre l'hospitalité, il se sent même honoré que des étrangers de passage s'adressent à lui, aient besoin de ses services. Malgré l'heure de la sieste, « la plus chaude du jour », ces gens qui marchent, qui sont peut‑être loin de chez eux, ont sans doute plus chaud, plus soif que lui. Peut‑être ont‑ils faim. Et il les met à l'aise, il leur procure un confort essentiel : l'eau pour reposer leurs pieds, l'ombre pour reposer leur corps d'une marche sous le soleil. « Aussitôt, nous dit la Genèse, il courut à leur rencontre ». Non seulement je te laisse venir jusqu'à moi, je ne te ferme pas la porte de ma tente ; mais je vais à ta rencontre.

Continuant sur sa lancée, il fait montre de générosité, de libéralité. Loin de profiter de sa situation dominante, il se dit le serviteur de ceux qui sont démunis face à lui qui possède de grands biens. Et il n'y va pas « avec le dos de la cuiller », comme on dit : trois grandes mesures de farine, ‑c’est-à-dire trente‑six litres ‑, un veau gras et tendre, du fromage blanc, du lait...

Cette générosité, ce don de ses biens et de soi‑même, nous les retrouvons chez Paul et les deux sœurs de l'Évangile. Paul donne la parole qui libère, il révèle la présence du Christ, le salut par l'union au Christ, il apporte la lumière du Christ, « afin d'amener tout homme à sa perfection dans le Christ ». Richesses encore plus fastueuses que les présents d'Abraham : si celui‑ci quittait la somnolence de sa sieste pour recevoir ses hôtes de passage, Paul se donne lui‑même et trouve même de la joie dans les souffrances, épreuves, tribulations du labeur apostolique.

Marthe reçoit Jésus dans sa maison. Pour l'honorer, c'est ce qu'elle sait le mieux, la tenue d'une maison, qu'elle veut offrir à l'ami de passage, et elle s'affaire à la cuisine. Marie, elle aussi, reçoit Jésus à sa manière. Elle n'est peut‑être pas d'un tempérament actif comme sa sœur ; elle n'en donne pas moins généreusement ce qu'elle a de meilleur : son « cœur », au sens de l'époque, son attention, son désir de comprendre la parole du maître, sa disponibilité. Recevoir, c'est aussi une façon de donner en permettant à l'autre d'être reconnu.

Dieu apprécie le comportement d'Abraham : en retour de sa générosité, Il lui donne la fécondité de sa femme Sara. La suite du récit ne parle plus de trois hommes mais de Dieu, comme Jésus dit plus tard dans l'Évangile : « Ce que vous avez fait à l'un des miens, c'est à moi que vous l'avez fait ». « Seigneur, qui séjournera sous ta tente ? demande le psalmiste. Celui qui ne fait pas de tort à son frère et n'outrage pas son prochain ». Après les sages de l'Ancien Testament, Jésus est plus exigeant : « Fais aux autres ce que tu voudrais qu'ils te fassent ». C'est exigeant. Demandons‑lui, par le don de l'Eucharistie qu'il va nous faire, la force de son amour.

Homélie pour le 14ème dimanche ordinaire

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, le Christ donne l’ordre de mission à 72 disciples. Oui, dès le début de l’Église, c’est la mobilisation géné­rale : le Christ le dit lui-même : La moisson est abondante, les ouvriers peu nombreux. Mais quand il dit cette phrase, son regard se porte aussi vers l’avenir. Il pense à la déchristianisation moderne des pays chrétiens de ce siècle. Et en même temps, il voyait ces cœurs en attente de la Bonne Nouvelle, ces cœurs qui, travaillés par l’Esprit-Saint, sont tout dis­posés à l’accueillir : champs non moissonnés par manque d’ouvriers. Dès lors aujourd’hui plus que jamais : mobilisation générale pour l’Évangélisation. Dieu a besoin de nous. Dieu a besoin de tous. D’ailleurs, nous n’avons pas le droit de rester les bras croisés quand, malgré des signes incontestables de renouveau (nombreux caté­chumènes, soif de spirituel chez des « recommençants », enga­gement de laïcs nombreux et formés), la plupart des indicateurs de la santé de l’Église d’aujourd’hui sont au rouge : la baisse de la pratique et du nombre d’enfants catéchisés, l’éclatement des croyances et la prise de distance par rapport aux grandes affirma­tions de la foi catholique reçue des apôtres, l’effacement de la mémoire chrétienne viennent s’ajouter à la forte diminution des prêtres. Nous n’avons pas le droit de garder pour nous cette richesse de la foi qui nous a été transmise. Nous avons une responsabilité, une influence inconscientes souvent. Et surtout n’allons pas trouver comme alibis notre incompé­tence, notre manque de connaissance en théologie ou en caté­chèse. Je ne saurai pas parler, disait Moïse à Dieu qui l’envoyait parler à Pharaon. Qu’importe dit Dieu, tu iras avec Aaron, lui, il sait parler. Car, on peut toujours faire quelque chose : on peut rendre mille services dans l’Église. Tous mobilisés sur le front de l’Évangélisation, c’est d’accord mais ça ne suffit pas : le Christ ne veut pas à son service des mer­cenaires résignés, des faut y aller parce qu’il faut y aller, des réqui­sitionnés en raison du manque de prêtres, des contraints-forcés par la conjoncture ecclésiale actuelle.

- Il veut des chrétiens qui se sentent vraiment envoyés donc des responsables, fiers d’être choisis, des disciples qui en veulent, parce qu’ils ont conscience de l’enjeu pour l’Église et le monde ; des chrétiens qui ont un peu d’imagination pour chan­ger dans le monde le visage si mal médiatisé de l’Église.

- Il veut des chrétiens qui savent travailler en équipe. Il les envoya deux par deux. Dans une mission importante, il est opportun de ne pas faire cavalier seul. C’est si vite fait de déraper. En cordée, on escalade les difficultés.

- Il veut des apôtres porteurs de paix : Dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : Paix à cette maison. Leur force, c’est jus­tement leur simplicité désarmante : des agneaux au milieu des loups. Ils évangélisent par la contagion de leur joie, de leur amour pacifiant. Ils ne viennent pas imposer mais proposer. Il importe surtout que les croyants puissent dire librement comment leur adhésion au Dieu de Jésus-Christ et la pra­tique de l’Évangile façonnent leur existence d’une façon durable, com­ment ils gardent confiance tout en traversant des passages difficiles ; il importe que les croyants soient aussi des citoyens, présents et actifs dans la société civile pour en relever les défis.

- Il veut des apôtres qui ne se préoccupent pas du résultat. Qu’importe qu’on les accueille ou qu’on les rejette : ils n’ont pas à compta­biliser le nombre de communions à la messe. Ils par­lent à temps et à contre-temps. Ce que Dieu leur demande, c’est simplement d’être bien dans leur peau de croyant.

Comme nous sommes loin dans cet Évangile d’un Christianisme relax et accommodant. Nous pourrions penser que ces exigences sont réservées aux prêtres et aux religieuses à la rigueur. Mais le monde d’aujourd’hui ne montre-t-il pas le surgissement partout de laïcs qui sont les signes vivants de la possibilité de cet appel généra­lisé. Ils existent, ces disciples tels que le rêve le cœur de Dieu, parce qu’ils ont cru à l’Amour.

Homélie pour le 12ème dimanche ordinaire

Plus on côtoie Jésus de Nazareth, et plus on est intri­gué par une telle perfection. Un jour ou l'autre, on se demande : mais quel est donc cet homme qui manifestement sort de l'ordi­naire ? Manifestement, il y a une dimension de sa personne qui nous échappe encore. Et c'est vrai qu'il intrigue : Voilà un homme qui n'est qu'un charpentier de village, poussant la varlope au milieu des copeaux. Descendant de roi, il n'est pas né dans un palais ; il n'appartient pas à la caste des grands, à l'aristocratie des guerriers, à la confré­rie du Lions-club, au sanhédrin des prêtres, il n'est qu'un pauvre. Il n’a aucun pouvoir, pas de titre, pas de diplômes, pas de séjour à Sciences-Po ou à l'ENA, pas d'armée, pas d'argent. Il n'a même pas été élu conseiller municipal dans son bled de Nazareth ! Son humilité, sa simplicité sont totales : il fuit les honneurs et refuse le pouvoir. Et pourtant, il commande à la tempête ; il enseigne comme quelqu'un qui a autorité ; il commande aux démons ; il a l'au­dace inouïe de prétendre remettre les péchés. Lui, le modeste, l'effacé, il ose dire : Je suis le chemin, la vérité, la vie. Je suis la lumière du monde ! Oui, il importe de suivre attentivement ce Jésus de nos Evan­giles, et alors, un jour, sous la lumière soudaine de l'Esprit-Saint, monte ou montera de notre cœur le cri de l'évidence, le cri de tous ceux qui ont reconnu le sens de tous les signes accumulés au cours de son fabuleux parcours, et comme Pierre nous dirons avec joie le fruit de notre découverte : Mais, Jésus, tu es le Mes­sie! ou comme St Thomas nous tomberons à genoux en disant : Mon Seigneur et mon Dieu.

Si Jésus nous demandait à chacun : qui dites-vous que je suis, nous pourrions certes maintenant répondre, avec la grâce de Dieu : Tu es le Messie, le Ressuscité, le Sauveur, le Fils de Dieu. Mais cette réponse ne serait jamais qu'une réponse de théologien ou... du catéchisme. Et c'est déjà beaucoup plus que la réponse de l'his­toire. Mais en fait, la vraie question que Jésus nous pose est bien plus profonde. Jésus nous demande en vérité : Qui suis-je pour toi ? Quelle place ai-je dans ta vie ? car on peut être un grand expert en christologie et ne pas aimer tellement le Christ, et à l'in­verse il est des simples qui seraient bien incapables de vous don­ner une définition exhaustive de lui, mais qui vivent unis profondément au Christ vivant. En effet, que me fait à moi la naissance de Jésus à Bethléem, s'il ne naît pas en moi, s'il ne grandit pas en moi, s'il ne s'épanouit pas en moi. Alors posons-nous les vraies questions.

- Est-il le tout de notre vie, comme il le fut pour tant de saints ? Est-il l'essentiel, la raison d'être de toute notre vie, l'unique nécessaire ? Passe-t-il avant mon succès à mes examens ?

- Est-il l'ami avec qui nous vivons en communion, en dialogue permanent, baignant dans sa présence.

- Est-il, comme le disent beaucoup de militants, le moteur de notre générosité, la raison dernière de notre action au service des autres ?

- Est-il suffisamment le modèle que nous voulons nous effor­cer d'imiter?

- Est-il le but dernier de notre vie terrestre ? Avons-nous assez le sentiment de marcher vers lui, qui nous accueillera pour les noces éternelles.

Et si nous nous sentons tellement éloignés de cette foi et de cet amour merveilleux en Jésus ressuscité, si les doutes nous assaillent, alors, quand la nuit nous enveloppera, il nous restera toujours la possibilité de lui crier de loin, un pauvre, mais suppliant « je t'aime quand même ».

Homélie pour le 6ème dimanche de Pâques

« Pourquoi donc Dieu joue-t-il à ce point à cache-cache avec l'homme, Lui qu'on voit si peu ? Je ne peux m'empêcher, Seigneur de t'en vouloir de nous avoir quittés il y a 2000 ans et de t'être réfugié dans Ton ciel, à l'abri de ma détresse » se demandait un jeune. De tout temps, les hommes de foi ont essayé de donner des explications, des interprétations à cette terrible absence dans laquelle Il nous a laissés. Mais s’il nous a laissé, c'est parce qu'Il nous aime, car l'amour est liberté, qui ne veut créer une dépendance que librement consentie. L'Evangile du jour vient bien confirmer toutes ces différentes intuitions. Mais surtout il vient prendre la peine de nous prépa­rer au scandale du silence divin. Le Christ n'a-t-il pas clairement, patiem­ment, préparé ses Apôtres à son départ. Mieux que cela : il vient nous donner des raisons de ne pas nous sentir abandonnés. Et si Jésus nous quitte à l'Ascension, nous n'avons pas pour autant à nous lamenter. Il nous a laissé avant de partir tellement de raisons non seulement d'accepter son retrait, mais même de nous en réjouir.

La première raison de nous réjouir de son départ, c'est la pen­sée que le Christ vit maintenant dans la joie sans fin. Le Christ reste pour les hommes le signe visible que Dieu a souci de l'homme. Chaque fois que l'homme est tenté de penser un instant que Dieu est un potentat lointain, hautain et silencieux, de grâce qu'il n'oublie jamais ce qu'il a fait pour l'homme : il ne s'est pas contenté d'une petite apparition facile et éphémère, ni d'une visite rapide comme un candidat qui va de ville en ville serrer des mains. Il a envoyé son Fils vivre la condition humaine, partager le pain et les misères des hommes. Dieu se tait, c'est vrai, mais il se tait parce qu'il nous a déjà tout révélé : il nous a dit en Jésus tout ce qu'il avait à nous dire.

La deuxième raison de nous réjouir, c'est que le départ du Christ est relayé par l'action de l'Esprit-Saint.

« Je m'en vais,  mais je reviens ». Singulier paradoxe : « je pars, mais je reste. Vous ne me verrez plus, mais je serai là. Il faut que je parte pour rester parmi vous ! Il vous est utile que je m'en aille, car si je ne m'en vais pas, le Saint-Esprit ne viendra pas ». Phrase que Clau­del traduit assez bien : « Il faut que je vous soustraie mon visage pour que vous ayez mon âme ».

Après la présence bien visible, bien palpable du Fils, voici la relève discrète de son Esprit.

C'est que Dieu nous veut hommes, c'est-à-dire adultes et res­ponsables, construisant nous-mêmes notre liberté, écrivant nous-mêmes notre histoire. Le départ du Christ est essentiellement le respect de notre liberté, mais il assure le service après-vente ! Il va envoyer son Esprit au cœur de l'homme qui veut bien l'accueillir, c'est à dire celui qui est le Maître intérieur, infiniment discret : Dieu refu­sera toujours d'écrire lui-même notre histoire. S'il le faisait nous ne pourrions pas dire qu'Il nous aime, car il consentirait à ce que nous restions des enfants, des mineurs, osons dire des gamins. Mais en même temps, il lui donne de pouvoir s'appuyer sur une présence mystérieuse qui est à sa disposition pour l'éclairer et lui donner la force de marcher sur la route choisie, la présence délicate de l'Esprit-Saint.

La troisième raison de nous réjouir du départ de Jésus, c'est qu'il annonce dans l'homme la mystérieuse présence de la Trinité. Si quelqu'un m'aime, mon Père l'aimera, et nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui. Bien sûr, que Dieu est par­tout, soutenant dans l'être la création tout entière : Dieu dort dans le minéral, rêve dans le végétal, s'éveille dans l'animal, pense et aime dans l'homme.

Les chrétiens savent-ils suffisamment qu'ils cohabitent avec Dieu, que Dieu s'est installé dans le grand et beau salon de leur cœur ?

Trop habitués à vivre à la surface de nous-mêmes, nous n'al­lons plus dans la crypte de notre cœur, à la recherche de cette Présence, et nous cherchons d'autres dieux : L'argent, le pouvoir, le progrès, le plaisir, etc.

Après tout, pourquoi ne pas admettre que Dieu joue à cache-cache avec nous ? Mais dans ce cas, avouez qu'il ne sait vraiment pas se cacher ou qu'il fait tout pour qu'on le trouve. Car il faut vraiment que nous ne soyons pas doués pour aller le chercher au loin alors qu'il est tout proche ou que nous man­quions d'amour et d'oreille pour ne pas entendre au fond de notre cœur le bruissement de ses pas ou la douce musique qu'il y mur­mure.

Homélie pour le 4ème dimanche de Carême

Voilà au moins un Evangile qui est toujours d’actualité n’est-ce pas ? Des fils prodigues qui partent en claquant la porte de la maison familiale, des fils aussi qui se jalousent, par exemple, pour les héritages ou les cadeaux que les parents font de leur vivant à l’un de leurs enfants, ça ne manque pas. Mais, polarisés que nous sommes sur les deux fils de la parabole, est-ce que nous n’oublions pas que la parabole ne veut pas d’abord mettre le projecteur sur la figure magnifique et attachante du Père. Arrêtons d’appeler cet Evangile la parabole de l’enfant prodigue. Mais la Parabole du Père généreux, ou la parabole du Père-Tendresse, du Père-Pardon-à-toute-heure. Étant bien entendu que le Père dont il s’agit, c’est Dieu lui-même. Et cette merveilleuse relation d’amour que Dieu entend vivre avec nous, il nous laisse libre de l’accueillir, car l’amour ne s’impose pas. Dieu-Père n’est pas paternaliste. Ce n’est pas le petit père du peuple à la Staline ou à la Castro. Il n’impose pas son rêve à ses enfants. Son attitude dans la parabole avec son fils cadet est tout simplement folle et insensée. Voilà un fils de famille qui exige sa part d’héritage. Et pour quoi en faire ? Pour aller s’éclater à la ville voisine. Quand on a de l’argent, tous les plaisirs ne sont-ils pas à votre portée ? Il se promet bien de ne pas tout dépenser, mais l’engrenage est vite en place. Les amis affluent, et du moment qu’il paie, lui font connaître les bonnes maisons de la ville, ces bonnes maisons qu’on dit « closes » alors qu’elles sont bien ouvertes, ces petits bars où l’on trouve une petite drogue « pas chère », mais aussi ces bonnes maisons de jeux, où l’on peut en une nuit, lui disent-ils, regagner 100 fois ce qu’on a perdu. Et l’argent de papa lui file entre les doigts. Et le père qui avait prévu ce qui allait se passer, a pris le risque de lui donner sa liberté. Est-ce inconscience ou confiance aveugle ? Fils cadets, fils prodigues, ne le sommes-nous pas souvent, nous qui utilisons les dons que Dieu nous a donnés pour nous éloigner de lui et courir vers les nourritures terrestres. Qu’avons-nous fait, que faisons-nous de la santé qu’il nous a donnée, de notre intelligence, de notre beauté ? Et surtout que faisons-nous de ces grâces qu’il sème sur notre route surtout au cours de ce Carême. Avec nous, Dieu n’est-il pas aussi un insensé, en nous donnant la liberté ? Ruiné, le fils cadet a dû se faire embaucher, au noir. Hélas le patron n’est pas très généreux. Si bien qu’il lui arrive de grignoter les restes des plats. Alors il rentre en lui-même, dit le texte : c’est-à-dire, il fait son examen de conscience. Nous voilà au sacrement de réconciliation ! Il fait le geste pascal, mais déjà le Père l’a précédé : il court au-devant de lui, il ne prend pas le temps de lui pardonner : c’est déjà fait. Il donne un baiser au lieu d’un châtiment. Il ne souligne pas les fautes de son fils, il soigne ses blessures et lui rend son honneur. C’est vrai aussi pour le frère aîné : le Père sait qu’il aura du mal à accepter ce qu’il va considérer comme une injustice. Alors le Père sort et court le rencontrer. Dieu ne pardonne pas à moitié. Nos péchés, il n’en a rien à faire... il ne les efface pas, il arrache la page. Pour revêtir ce fils en guenilles, il ne lui donne pas des vêtements usagés, il lui donne un complet tout neuf. Et il invite tout le monde à une bonne table. Et maintenant il ne désire plus qu’une chose, c’est que son fils aîné lui aussi se convertisse, c’est-à-dire, entre dans cette relation amoureuse du Père qui se réjouit de la joie de ses enfants. Va-t-il comprendre ? Ira-t-il les rejoindre et boire le champagne avec tous ? Ou laissera-t-il sa place vide ? L’Evangile ne le dit pas. Et nous ? Qu’aurions-nous fait ? Comment ne pas contempler, en terminant ; le Fils aîné de l’humanité, le Christ, le fils aîné parfait, venu aider ses frères cadets à entrer eux aussi dans la Tendresse du Père !

Homélie pour le 5ème dimanche C

On aurait envie de sourire : un sourire de connivence, de sympathie amusée. Cette histoire de Pierre qui se fait littéralement « embarquer » par Jésus, rappelle des expériences que beaucoup d'entre nous connaissent. Jésus pressé de toutes parts, ne peut plus se faire entendre. Il demande alors à Pierre de le laisser monter sur sa barque. Ainsi sera-t-il à bonne distance pour se faire entendre. Cela dérange sûrement un peu Pierre qui était occupé à ses filets, mais il le fait. Un peu plus tard, Jésus l'engage à repartir à la pêche. Cette fois, l'emploi du temps de Pierre est bouleversé et cette demande va contre toute raison. Il hésite et finalement accepte. Et c'est la pêche miraculeuse. Alors Jésus porte le coup de grâce - le « coup de la grâce » : « désormais, ce seront des hommes que tu prendras ». Pierre et ses compagnons le suivent « laissant tout ». Si cette histoire prête à sourire, c'est parce qu'elle ressemble plus ou moins à la nôtre. Il y a de la voracité dans l'amour de Dieu comme dans l'amour humain : je donne le petit doigt, le bras risque d'y passer, et moi avec... Donc dans cette histoire, chacun peut se reconnaître. Cette foule que Jésus attire et qui l'écoute, c'est nous-mêmes ici aujourd'hui. Cela ne change pourtant pas nos conditions d’existence : nous n'abandonnons ni métier, ni maison, mais notre manière de vivre est transformée. Encore que... Sortirons-nous de cette messe plus rayonnant de la Parole du Christ ? Et puisqu'aimer, c'est dévorer : serons-nous remplis de la personne même du Christ ? Puis Jésus demande à Pierre de lui prêter sa barque. C'est un appel plus personnel, la demande d'un service ponctuel. Jésus nous demande à nous aussi de prêter notre barque. Dans notre communauté, ce sont ces coups de main qu'on sollicite de nous ; une lecture, la distribution d'une feuille. Ailleurs, un service de bon voisinage. Ici comme là, rendons ces services et ajoutons-y le sourire de l'Évangile. Mais Jésus demande davantage encore à Pierre : qu'il reprenne sa pêche. Besogne plus longue, plus dérangeante, insensée même. C'est nous, quand nous avons pris un engagement à long terme : catéchèse, préparation aux sacrements, équipe liturgique ; ailleurs, aide régulière à des personnes qui en ont besoin. Nous avons peut-être hésité à nous engager en disant : « je ne l'ai jamais fait, ça me prendra trop de temps, ça ne marchera pas ! ». Mais finalement, nous le faisons. Et ça marche. Pêche plus ou moins miraculeuse, mais par nous la Bonne Nouvelle est annoncée. Cependant notre engagement n'est pas encore définitif. Nous pouvons cesser notre activité si nous n'en avons plus le temps ou le goût. Ce n'est pas l'engagement total que Jésus propose à Pierre : « Désormais ce sont des hommes que tu prendras ». Au coeur de notre vocation, c'est-à-dire de cet appel à nous donner entièrement, nous avons peur. On ne peut voir Dieu faire irruption dans notre vie, l'envahir, sans en être bouleversés. « Malheur à moi », disait Isaïe. Pierre de son côté, est « saisi d'effroi ». Mais le premier à s'engager est Dieu lui-même : « Je suis avec toi », disait-il à Jérémie dimanche dernier ; « Sois sans crainte » dit Jésus à Pierre. C'est exactement la parole de l'ange à Marie. Écoutons cet appel comme d'autres l'ont entendu. Donnons-nous totalement au service de l'Évangile, quel que soit le ministère. Isaïe a répondu : « Je serai ton messager », comme Pierre, Jacques et Jean. Mais Paul témoigne : « Je me suis donné de la peine; à vrai dire, ce n'est pas moi, c'est la grâce de Dieu avec moi ». Tout à l'heure, j'avais envie de sourire du tour joué par Jésus à ses disciples. Et si maintenant c'était Dieu qui me souriait ? Et si je me laissais emporter par son amour, embarquer avec lui : un peu, beaucoup, à la folie, passionnément ?

Homélie pour le 2ème dimanche ordinaire

Il traîne encore dans beaucoup de mentalités que le christianisme serait l'ennemi de la joie, et que l’Église s'opposerait au bonheur humain. Si cela était vrai, c'est que nous serions infidèles à l'esprit de Jésus. Il faudrait inviter tous les pessimistes aux « noces de Cana ». Le premier miracle de Jésus, selon saint Jean, son premier signe, ce fut de redonner six cents litres de bon vin à un repas de mariage : Jésus lance un défi à la tristesse, et une immense et joyeuse invitation à l'ivresse spirituelle. Le vrai Dieu n'est pas celui qu'on invente, c'est celui de Jésus Christ, c'est le Dieu de Cana : Dieu du bonheur... du bonheur d'aimer... et d'aimer sans mesure. Nous savons bien que tous les hommes aspirent au bonheur. Or, d'où vient ce désir ! Qui donc l'a mis au plus profond de nos cœurs ! Le créateur, l'inventeur, de ce désir qui brûle au fond de chacun de nous, c'est Dieu. Il nous a faits pour la joie, et une joie infinie, la sienne. Car Dieu est l'être infiniment heureux. En redonnant du vin quand celui-ci venait à manquer, Jésus s'est montré le complice de notre désir : Il n'est venu, au fond, que pour faire réussir notre joie, au-delà même de nos espérances... Il a été envoyé par Dieu pour assurer le plein succès de la « noce » ... un mariage d'amour entre Dieu et l'humanité. Le symbolisme des noces est clair : pour être heureux, il suffit d'aimer et d'être aimé. Et ce vin qui, soudain, se met à manquer en plein milieu d'un mariage, c'est le symbole de l'amour qui, hélas, finit parfois par s'épuiser, dans nos couples, dans nos groupes, dans nos familles. Or, on ne peut pas vivre sans amour. Jésus est celui qui vient se proposer pour nous en redonner. Toutes les statistiques actuelles nous révèlent qu'une crise conjugale dramatique atteint notre époque. Tous les clignotants sont « au rouge » pour nous avertir que ça va mal du côté de l’amour : aucune époque n'a connu autant de divorces douloureux, un sur deux mariages, en France... et combien de couples éphémères, vécus au ras du sol sans célébrer de noces au départ, et sans engagement responsable, et sans enfants parfois... et même dans les couples plus solides, il peut arriver que le temps émousse et épuise les beaux élans des débuts. Alors, cet amour qui nous promettait le bonheur devient banalisé, insipide comme de l'eau fade, à la longue. C'est la condition humaine, disons-nous alors, en une sorte d'aveu de désillusion. Faut-il donc changer le titre de la chanson ! Il est formidable d’aimer ! Il est difficile d'aimer ! Cet évangile vient nous répéter une évidence. Si l'usure, le fini, la banalisation... sont la caractéristique de l'homme, Dieu, Lui, se caractérise par la solidité, l'infini, la perfection toujours neuve. Or, la merveille, c'est que Dieu, en Jésus Christ, propose de faire Alliance avec l'homme... c'est le « vin de la Nouvelle Alliance » nous rappelle chaque messe. En la personne même de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, Dieu a épousé l'humanité, pour la diviniser, pour la transformer, pour changer notre eau banale et fade, en vin généreux et bon à consommer sans modération. Jésus est venu faire du mariage un sacrement, pour ceux qui le lui demandent : Il prend l'eau qu'on lui apporte, et Il la change en vin... Il prend nos projets humains tels qu'ils sont, avec leur faiblesse congénitale, et leurs risques d'épuisement à long terme... et Il y infuse son propre amour divin. Boire à la coupe de la « Nouvelle Alliance », boire le vin que Jésus donne, c'est boire à la source de l’Amour infini, cet amour divin qui est capable, lui, de tout donner, jusqu'au bout, sans aucun déclin. En terminant cette méditation, nous voyons bien que le christianisme n'est pas l'ennemi du bonheur et de l'amour humain. Au contraire, Jésus propose le bonheur parfait, un bonheur durable, solide... et même un bonheur capable de renaître et de repartir si l'amour, un moment, semblait commencer à manquer. Pour cela, une seule condition, que Marie indique aux serviteurs : « Faites tout ce qu'il vous dira !» Seul Dieu peut donner ce qui est au-delà de nos possibilités humaines : son propre Amour, sa propre Vie, son propre Bonheur.

Homélie pour le 13ème dimanche ordinaire

Aujourd’hui, l’évangile nous rapporte deux miracles entremêlés, la femme guérie de ses hémorragies, et la fillette sauvée de la mort. Une fois de plus, convainquons-nous que ces cascades de miracles accumulés ne nous sont pas racontées pour nous épater. Il doit y avoir une autre leçon, cachée dans l’extraordinaire de ces gestes où nous sommes toujours tentés de ne retenir que le spectaculaire. Dans l’Évangile de Marc, Jésus se révèle comme le vainqueur absolu du mal qui répond ainsi aux plus graves questions de l’homme : d’où vient le Mal ? Est-ce que la souffrance et la mort seront vaincues un jour ? Eh bien, oui ! Dieu se présente comme le Tout-Puissant, en Jésus Christ. Mais dans cette compétition, Jésus sème des petites phrases, que nous risquons de ne pas remarquer : «Ta foi t’a sauvée... ne crains pas, crois seulement... pourquoi avoir peur, hommes de peu de foi...» En demandant la foi, comme condition même pour faire ses miracles, Jésus semble avouer que sa volonté de vaincre le mal de l’homme peut échouer... sur notre incroyance. Rien ne lui résiste, sauf notre terrible liberté. Car Dieu est amour, et, pour cette raison, il ne peut évidemment pas s’imposer : il propose la guérison, la résurrection, mais la foi est notre réponse libre. Sans la foi, il est clair que l’homme n’a aucune chance de vaincre la mort. Avec la foi, tout devient possible. Dans ce passage d’Évangile, il y a énormément de gens qui touchent Jésus, mais une seule personne est guérie. Il est bien clair que la foule a une certaine foi, puisqu’elle court après lui. C’est pour l’écouter, pour le voir, pour bénéficier de ses bienfaits, qu’elle le suit. Et au milieu de cette foule, se détache la malade souffrant d’hémorragies. A la différence de la foule, celle-ci a une motivation tout à fait particulière pour s’approcher de Jésus, et toucher son vêtement. Mais sa foi reste encore très imparfaite, et c’est Jésus lui-même qui la fait évoluer. Elle se serait contentée d’un contact anonyme et purement matériel. Mais Jésus la provoque à une relation personnelle. Il veut que la femme dépasse sa croyance teintée de magie un peu superstitieuse : - « si je le touche, je serai sauvée ! » - A partir de sa foi commençante, Jésus la conduit à une foi plus vraie. Ainsi, nous­-mêmes, nous avons à progresser dans la foi, et à aider les autres à grandir dans une rencontre plus personnelle de Jésus. Le père de la fillette ne demandait d’abord que la guérison... il accède, par les questions mêmes de Jésus, à la foi en la résurrection. C’est un pas de plus. C’est jusqu’à cette foi pascale que veut nous conduire Jésus, le vainqueur de tout mal. Rien ne lui résiste, si nous croyons en lui.

Homélie pour le 11ème dimanche ordinaire B

Où sont ceux qui disent que l’Église a disparu du monde ? C’est la question que posait déjà St Augustin au IVème siècle. Depuis, beaucoup ont prophétisé son enterrement imminent, et qui sont eux-mêmes dans la tombe. Aujourd'hui, on a de nouveau l'impression que notamment parmi la jeunesse, l’Église est en perte de vitesse. L’Évangile d'aujourd'hui tombe donc à point pour que nous comprenions mieux le mystère de l’Église. A ces premiers chrétiens, qui eux aussi, ne voyaient pas suffisamment briller le Royaume tant annoncé par le Christ, les deux petites paraboles que nous venons d’entendre, venaient rappeler opportunément que l’Église n'est pas un Royaume comme les autres, mais un Royaume qui grandit discrètement, imperceptiblement, sans éclat, silencieusement.

Le Royaume, nous dit Jésus, est semblable à une graine de moutarde, la plus petite des semences, mais qui pourtant grandit, au point que les oiseaux du ciel viennent y faire le nid à son ombre. On repère là facilement la façon de faire de Dieu, qui révèle sa puissance créatrice en faisant surgir un développement étonnant à partir de peu. Un petit gland tombé d'un chêne, va germer, laisser une tige monter vers le ciel, puis devenir un arbre vénérable. Et c'est la même façon d'agir de Dieu pour l’Église : Au Golgotha, cette Église, qui sort du coeur percé du Christ, n'est pas très impressionnante : trois personnes. Une maman en larmes, une ancienne prostituée, un jeune prêtre ordonné de la veille, Jean. Qu'est-ce que Dieu va bien pouvoir faire avec ce misérable trio ? À la Pentecôte, sous le vent de l'Esprit, l’Église prend son envol. Mais là encore, qui aurait oser parier sur le succès de ces onze premiers apôtres sans diplômes, sans armée et qui pourtant en quelques années vont porter la Bonne Nouvelle dans tout le monde romain, et transmettre le flambeau à toutes les générations suivantes : Le Christ aurait-il vu juste quand il annonçait que l’Évangile serait porté jusqu'aux extrémités de la terre ?

La barque de l’Église a essuyé et essuiera de terribles tempêtes, mais elle avance, confiante. La barre est tenue fortement par Celui qui a promis d'être toujours avec elle jusqu'à la fin des siècles.

C'est tout le sens de la première parabole de l’Évangile du jour : La semence germe et grandit, le semeur ne sait comment. Et cette immense efflorescence annuelle se fait dans le silence total des jours et des nuits. Le bouillonnement de la vie est silencieux ! Les grands oeuvres du Seigneur se passent dans le silence : l'Incarnation, dans le silence de Nazareth, Noël, au milieu du silence de la nuit, la Résurrection dans le silence de la nuit de Pâques.

C'est vrai pour l’Évangile dont l'esprit transforme le monde, sans même que le monde s'en aperçoive, doucement, imperceptiblement, lentement, silencieusement. L'Esprit est discret. Il a fait jaillir la vie sans bruit, il sème l'amour à l'échelon de la planète. Jésus est discret. Il est discret, parce qu'il est un amoureux, et qu'un amoureux ne force pas les portes des coeurs. Sa joie est de se confier progressivement, respectueusement.

L’Église se doit d'être discrète, elle contemple le ressuscité, mais sans oublier qu'il est aussi le crucifié. Elle contemple le Sauveur du monde, sans oublier aussi qu'il est le rejeté du monde. On reproche à l’Église d'être trop peu médiatique. Mais si le Christ était venu sur terre en notre siècle, aurait-il organisé sa naissance ou sa résurrection sur le modèle fastueux des grandes cérémonies sportives ou nationales ? Vous sentez bien qu'on n'est pas dans le même registre. Et qu'il y a une discrétion de l’Église qui crie plus fort que les exhibitions triomphales. En ce mois de juin, la campagne est belle, les prairies sont verdoyantes, les blés poussent et les épis drus pointent vers le soleil. Et c'est vrai que tout se fait en douceur sans l'intervention du cultivateur. Et pourtant, il a fallu qu'il laboure, qu'il sème, qu'il désherbe et prépare la terre. Tout est de la nature et tout est de l'homme. Il en est de même du Royaume. Dieu est à l'oeuvre, le Royaume avance, la moisson est certaine et garantie, on peut faire confiance à l'Esprit. Les chrétiens sont conviés à porter la Bonne Nouvelle. Ils seront efficaces en aidant l’Église à assumer sa tâche. L’Église n'est pas parfaite. Alors, au lieu de perdre son temps et ses énergies à la critiquer, ou à faire un continuel mea culpa, employons-nous à l'aider, et apprenons à l'aimer.

Homélie pour la Sainte Trinité

La fête de la Sainte Trinité, que nous célébrons aujourd'hui, est la seule à ne pas commémorer un événement bien daté, et bien localisé... dans l'histoire et la géographie. Noël, la Passion, Pâques, la Pentecôte, sont des faits historiques précis et concrets, qu'on peut mettre en image. Dieu s'est vraiment incarné.

Mais après les cycles liturgiques évoqués depuis six mois, déroulant la vie de Jésus de Nazareth, en son temps et dans son pays, la Palestine... voici que pour tout conclure, l'Eglise nous proposerait-elle, pour une fois, une idée abstraite!

Nous devinons que tous les événements historiques qui remplissent notre Credo ont une source, une mystérieuse source, en dehors du temps, et en dehors de toute localisation. Notre Credo est construit sur un rythme trinitaire: le Père, le Fils et l'Esprit. Notre baptême chrétien est donné au Nom de cette même Trinité. Et le signe du chrétien, le signe de croix, enveloppe notre corps « au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit ».

Pourtant, la Trinité, si importante pour nous, n'est pas une «idée». Elle ne peut se révéler à nous que par Jésus Christ. Ce n'est pas une construction intellectuelle de théologiens ou de philosophes. La Trinité n'a pas été élaborée par de savants conciles. Elle s'impose à travers l'Évangile, à travers les comportements de Jésus de Nazareth. Il faudrait relire tout l'Evangile, pour y découvrir comment Jésus est tourné vers le Père et promet d'envoyer leur Esprit commun. La personne même de Jésus plonge dans le mystère de Dieu, qui, tout en restant «Un», comme l'affirment aussi la plupart des grandes religions... prend soudain le relief de Trois visages.

La page de Matthieu que nous lisons aujourd'hui est la conclusion de tout son évangile: c'est un concentré théologique étonnant, mais qui ne dit rien de plus que tous les humbles récits concrets qui précédaient.

Le mot Église signifie «assemblée». Le vrai Dieu est un Dieu qui prend l'initiative d'inviter. Quand un chrétien va à la messe, ce n'est pas lui qui a, soudain, l'envie personnelle de faire un certain geste. C'est Jésus qui l'a «convoqué» à y venir. Notre foi n'est pas d'abord une construction intellectuelle, c'est une «réponse » à quelqu'un qui nous appelle.

Acceptons-nous de nous laisser convoquer par Jésus sur une montagne! La Trinité ne peut qu'agrandir mes trop petits horizons. J'accepte l'invitation à monter sur une cime. C'est une escalade de haute montagne !

Dieu ne se met pas en formules, en idéologies. Dieu ne peut pas être rationalisé, enfermé dans une définition. Dieu n'est pas une vérité à comprendre. C'est quelqu'un à adorer. L'adoration est le plus grand geste que l'homme puisse faire !

Après la vie obscure du petit charpentier de Nazareth, voici qu'éclate l'Heure de Vérité. C'est apparemment la dernière page, le dernier épisode de la vie d'un pauvre homme... et pourtant c'est le début de la plus grande aventure de tous les temps, inexplicable selon les normes courantes de l'histoire: Jésus remplit « tout » !

Tel est le Dieu au nom duquel nous avons été baptisés. Le mystère de la Trinité nous dépasse de partout. On s'y plonge... comme dans un abîme sans fond. Et ce Dieu-là n'est pas lointain. Il est avec nous tous les jours... Père, Fils, Esprit.

Homélie pour le 6ème dimanche de Pâques B

Les chrétiens du monde entier qui écoutent aujourd’hui les lectures de ce jour entendent vingt et une fois le mot Amour, inlassablement répété par saint Jean, dans son Épître et dans son Évangile! Ce message caractérise le christianisme: Aimer! Pourtant, ce mot, apprêté à toutes les sauces sur les radios et les écrans de télé, en est devenu banal et vulgaire. Il n’y a pas de mot plus ambigu que celui-là. Chanté sur le ton des rengaines les plus insignifiantes, il finit par être traîné dans la rue et dans la boue. Pourtant, inlassablement répété, il demeure fascinant. Nous sommes pétris d’amour, faits pour aimer et être aimés. Comment peut-il se faire que nous puissions rapetisser l’amour, l’édulcorer? Or, justement le Christ, dans l’Évangile du jour, nous dit son désir d’être aimé, et surtout ce qu’est vraiment l’amour. L’amour est un mot piégé. Mais aimer le Christ, ce n’est pas lui dire de belles paroles gentilles et sans conséquences. Aimer, c’est faire ce qu’il attend de nous, rester fidèles à ses commandements. Aimer le Christ, ce n’est pas dire de belles paroles sur les démunis en mégotant pour ouvrir sa bourse ; C’est encore moins les aimer en fonction de l’utilité qu’ils présentent pour nous, et donc les utiliser. Aimer, c’est agir concrètement. Aimer, c’est prendre le risque d’aimer. L’amour envers Dieu et envers les autres est toujours un pas dans le vide pour aller accueillir et rencontrer l’inconnu. L’amour peut nous emmener tellement loin de nos rassurantes sécurités. Et ce n’est jamais facile d’aimer les autres. Aimer, c’est devenir des pratiquants de l’amour. Peut-être que certains d’entre vous, vous avez eu un jour ou l’autre à souffrir d’être traités de “pratiquants”, comme si les “pratiquants” étaient forcément des “formalistes”, des inconditionnels de l’eau bénite, des gens qui se donnent bonne conscience pour se dispenser d’aider leurs frères. Sachons-nous défendre, en nous disant des “prati­quants de l’amour”. C’est par amour que nous faisons l’effort chaque dimanche d’aller au rendez-vous de Dieu. Peut-on dire qu’on aime son conjoint si on n’a aucun geste d’amour envers lui ? “Je suis amoureux, mais pas pratiquant”! Voilà exactement ce que disent ceux qui aiment affirmer qu”ils sont croyants, mais pas pratiquants.” Oui, soyons des pratiquants de l’amour... de l’amour de Dieu et, bien sûr également de l’amour de nos frères... Aimer, c’est se laisser habiter par l’amour. Aimer, c’est en fait accueillir cette mystérieuse présence de l’Esprit d’Amour. Aimer, c’est donner, mais c’est d’abord accueillir le don des autres, et surtout le don du Tout-Autre. C’est se savoir pauvre, assez pauvre pour faire appel à une richesse extérieure. Aimer, c’est se mettre à l’écoute du Maître intérieur, justement pour savoir comment aimer. Mais, pour l’homme, l’amour vrai est chose rare et difficile; le goût de la possession, de l’égoïsme, de la vanité vient toujours entacher nos plus belles générosités. Encore faut-il laisser Dieu aimer en nous ! Voilà la grande récompense de ceux qui aiment le Christ de cet amour qui fait sa volonté : il leur sera donné de le voir vivant... Le croyant devient un voyant qui perçoit la mystérieuse présence du ressuscité dans l’éclosion du lilas, comme dans le regard du pauvre, dans le recueillement d’une cérémonie comme dans la joie de ce nouveau baptisé, dans le cœur des êtres généreux comme dans son propre cœur. Il est un voyant comblé. Il est un voyant étonné. Être chrétien, c’est d’abord être étonné. Être étonné à jamais. Étonné de vivre.

Homélie pour le 6ème dimanche B

Le livre des Lévites fait partie des livres de la Bible mais il n'est sans doute pas le plus lu aujourd'hui. Le passage que nous venons d'entendre nous semble dur : c'est une loi d'exclusion. Ceux qui sont atteints par la lèpre doivent être chassés de la communauté. Nous ressentons la dureté de cette loi d'autant plus durement qu'aujourd'hui la question de l'exclusion se pose encore d’une autre manière avec d’autres lèpres.

Dans l'évangile de ce 6ème dimanche, nous voyons Jésus enfreindre la loi et entrer en relation avec un lépreux. Il va même jusqu'à le toucher. Ensuite il le guérit et lui enjoint d'accomplir les prescriptions de la loi qui lui permettront de réintégrer la société des hommes. En ce sens, Jésus apparaît comme celui qui lutte contre l'exclusion des autres. Mais la conséquence pour Jésus c'est qu'il est lui-même exclu : "Il était obligé d'éviter les lieux habités". On croit entendre le livre des Lévites : "Il habitera à l'écart, sa demeure sera hors du camp."

Pour compléter le message de ce dimanche l'apôtre Paul nous recommande de n'être obstacle pour personne mais de faire comme lui qui, à l'exemple du Christ Jésus, s'adapte à tout le monde et cherche l'intérêt de la multitude des hommes.

L'attitude de Jésus vis à vis du lépreux, les recommandations de Paul, tout cela nous atteint aujourd'hui où nous voyons tant de formes d'exclusion à l'œuvre dans la société et même dans l'Eglise. Ceux qui ne s'adaptent pas, ceux que nous ne pouvons pas supporter, ceux auxquels nous ne pouvons pas nous adapter, se trouvent mis à l'écart, écartés, évités.

Les bonnes paroles sont faciles à dire surtout quand on habite un quartier tranquille. Les protestations de fraternité universelle sont aisées tant que nous ne sommes pas au pied du mur, sur le terrain, avec sur les bras un homme, une femme, un jeune qui se sentent exclus, qui ont parfois fait tout ce qu'il fallait pour être exclus. Dans ces cas-là, que peut-on faire?

La parole de Jésus au lépreux qu'il vient de guérir est mystérieuse : "ta guérison sera pour les gens un témoignage". Bien sûr, il s'agit en premier lieu de guérir un homme et de le réintégrer dans la société mais, en plus, Jésus considère cette réintégration comme un témoignage. Aider un exclus à se réintégrer devient un témoignage.

Voilà, tout d'un coup, que l'accueil et l'exclusion prennent une nouvelle signification. Il ne s'agit plus seulement d'être gentil, d'avoir bon coeur, d'être compréhensif. Il s'agit de témoigner du sens que nous voulons donner à la vie.

C'est ce ce que Jésus dit sous une autre forme quand il nous demande d'imiter le Père des cieux. Réintégrer, accueillir, c'est imiter le Père des cieux, c'est essayer de rendre ce monde fraternel, comme aux temps de la création, quand Dieu donnait tout l'univers à tous les hommes, sans exclusivité.

Le récit de réintégration du lépreux se termine par l'exclusion de Jésus : "Il était obligé d'éviter les lieux habités". L'exclusion de Jésus va bientôt culminer dans sa mort solitaire sur la croix. Cette exclusion est aussi son suprême témoignage : "Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime".

L'exclusion renouvelle la passion. Quand je me trouve devant un frère exclu, je suis comme devant Jésus au cours de sa passion : je puis, comme les apôtres m'enfuir ; comme Pilate, je puis condamner; comme Marie, je puis me tenir debout au pied de la croix. Dans la personne des exclus, Jésus est en agonie jusqu'à la fin des temps et il m'attend.

Homélie pour le 5ème dimanche B

Ils ne sont pas rares les livres qui racontent, dans le détail, la journée de travail d’un homme illustre : une journée de Barack Obama à la Maison Blanche, une journée du Pape François au Vatican, une journée de François Hollande à l’Élysée. C’est un peu ce que fait aujourd’hui Marc en nous donnant le contenu de l’une des journées de Jésus, au cours de ces trois années passées à répandre la Bonne Nouvelle. Manifestement, l’Évangile le dit, Jésus se lève très tôt. Et son premier souci, c’est la prière. Ce cœur à cœur matinal avec le Père est son pain quotidien. C’est là qu’il puise sa force pour la journée qui l’at­tend, c’est là qu’il puise l’énergie et la joie qui vont l’habiter tout au cours d’une journée. Ainsi, dans cette période intense d’apostolat, la contemplation n’est pas absente, elle est au départ de son action. Et nous qui avons toujours mille excuses pour reporter la prière, sous prétexte que l’action, voire l’apostolat sont l’urgence des urgences...

Jésus, maintenant, va commencer pour ses disciples une formation sur le tas ! Pas de conférences, ni de sémi­naires fermés, mais une formation en plein vent. Ils vont accompagner Jésus sur les chemins et voir comment il s’y prend. Et le travail, à cette heure de la journée, lui est dicté par les événements, sa réputation le précède, et les malades accourent. Et Jésus, devant cette misère, est touché; il apaise, il guérit. Mais la vraie guérison que le Christ est venu apporter aux hommes, c’est la libération des cœurs, c’est la libération du péché. Cette lutte avec le mal est donc une partie non négligeable de sa mission, et l’Évangile souligne à de nombreuses reprises la chasse que le Christ fait aux “mauvais esprits”. Par les mauvais esprits, il faut entendre, non seulement les démons, qui visiblement sont gênés par cette présence du Saint de Dieu, mais aussi tous ceux que le péché retient en esclavage. Le démon, nous n’y croyons guère, et nous laissons aux émissions sur le paranormal le soin de faire de l’audimat avec le surnaturel douteux. Le mal, il est dans notre société, qui « appelle bien le mal, et mal le bien », comme disait Isaïe, qui estime que tout est permis. Le mal, il est dans notre vie à nous… chaque fois que, par peur ou snobisme, nous devenons, par notre silence les complices indirects d’un monde qui a perdu tout repère sérieux. En cet univers de l’informatique et de la communication, les chrétiens seront-ils capables d’être sur les ondes et les petits écrans, les témoins vibrants et courageux de la vérité, quitte à aller à contre-courant des idées reçues ? Mais la partie la plus importante de la “journée de Jésus”, c’est avant tout la proclamation de la Bonne Nouvelle. C’est là sa mission première. Je suis sorti pour cela, et saint Paul, dans la deuxième lecture y fera écho : Malheur à moi, si je n’annonçais pas l’Évangile. Non, Jésus n’est pas d’abord un un magicien qui veut séduire les foules. Et quand il sent que les foules le recherchent uniquement à cause de ses dons évidents de guérisseur, alors, il s’éclipse. Et nous ? Que demandons-nous à Jésus : la santé ou la sainteté ? Que demandons-nous à notre religion ? Des assurances-tous-risques et gratuites dans les difficultés de la vie, ou un rappel des exigences de l’amour, une transformation de notre cœur ? Sommes-nous préoccupés de proclamer la bonne Nouvelle ? La journée du Christ, une journée bien remplie. Ma journée de chrétien, à travers des tâches bien précises qui sont mon devoir d’état, comporte-t-elle parallèle­ment des temps de prières ? Une ouverture sur les souffrants rencontrés ? Un refus de la compromission avec le péché qui me sollicite à chaque instant ? Et enfin, à l’occasion, un témoignage et simple et vrai de la Joie de l’Évangile qui m’habite ?

 

Homélie pour le 2ème dimanche de l'Avent B

Ce texte d’évangile est comme le générique d’un film: ça donne le ton et ça donne envie d’aller plus loin. Enfin quand on aime les films d’auteur. Marc, en une formule lapidaire, dit : « Bonne Nouvelle de Jésus Christ, fils de Dieu. » Sans doute cette nouvelle est-elle difficile à entendre pour certains d’entre nous. Mais cette introduction, comme une bande-annonce, résume ce qui sera développé par la suite. Quand vous participez à l’inauguration d’un magasin, d’un musée, vous pensez avoir tout vu, mais vous vous dites aussi : « Il faudra que je revienne pour prendre plus de temps. » Inaugurer, ce n’est pas tout découvrir. Quand nous entendons ces mots: «Bonne Nouvelle de Jésus Christ, Fils de Dieu », nous avons besoin d’explications. Et c’est l’ensemble du livre de Marc qui nous les donnera. Lire l’Évangile aujourd’hui, c’est essayer de faire comme Marc. Il rappelle une parole du passé, et montre une situation contemporaine. Par exemple, cette phrase : « une voix crie dans le désert: préparez le chemin du Seigneur. » Quel prophète, de nos jours, crie dans le désert? Qui vitupère en disant : «Préparez l’avenir ! » Et pour y arriver, il y a des collines à raboter : ces bosses de nos préjugés contre l’Église, les évêques, les prêtres, les autres chrétiens à la sensibilité différente... ou contre Dieu confondu trop souvent avec les faux dieux. Les remblais de nos attachements à l’argent, que nous n’arrivons pas à balayer de nos vies. Ces chaines de montagne que constituent nos défauts avec surtout le piton prétentieux de l’orgueil : le mont de « l’Ego ». Il y a des tunnels à creuser : Oser ouvrir sa carapace pour y laisser entrer le Seigneur ! Il y a des vallées à combler, des ponts, voire des viaducs à jeter. Au lieu de faire des murs, il faut faire des ponts. Tant que nous ne verrons pas que la vie est inhumaine, rien ne pourra changer. C’est pourquoi des prophètes nous alertent et crient le désespoir des sans-voix. Lorsque le mal est nommé et reconnu, il est possible d’espérer une amélioration et d’annoncer du bon et du neuf pour tous. Le retour du religieux suscite enthousiasme mais aussi fanatisme. Le critère de la foi n’est pas là. Il est dans l’action qui prépare le chemin. Tous ceux qui prennent des initiatives pour guérir les blessés de notre société, tous ceux qui construisent l’avenir selon le respect de l’homme, aplanissent la route et contribuent à la venue d’une qualité de vie qui révèle la divine origine de l’homme. C’est cela aussi préparer Noël.

Homélie pour la fête de l'Immaculée Conception 8 décembre 2014

Le 25 mars 1858, La Vierge de la Grotte de Massabielle à Lourdes donne son nom à Bernadette, en écartant ses mains jointes et les joignant à la hauteur de la poitrine, lève les yeux au ciel et dit en patois : "Je suis l’Immaculée Conception". Bernadette court alors au presbytère en se redisant sans arrêt, pour ne pas les oublier, les paroles précieuses : "Je suis l’Immaculée Conception". Et pour la première fois, le curé de Lourdes est désarçonné : "Où cette enfant qui sait si peu de catéchisme est-elle allée chercher une telle formule ?".

Ces paroles ne pouvaient être qu'inintelligibles pour cette paysanne de 14 ans. Elle ignorait totalement que le 8 décembre 1954, le pape Pie-IX avait solennellement défini, comme dogme de foi, la Conception Immaculée de Marie : La Bienheureuse Vierge Marie, au premier instant de sa conception fut, par grâce et privilège singulier du Dieu tout-puissant, préservée du péché originel.

Le privilège accordé à Marie, c'est que, dès sa concep­tion, elle a reçu en plénitude la grâce de Dieu et tout son être est imprégné de l'Esprit Saint. Mais l'étonnant est que cette grâce qui lui est donnée, est obtenue par son Fils, qui n'est pas encore né ! Il n'est de vraie beauté que celle qui porte la marque de la discrétion, de la simplicité, et renvoie à Dieu la gloire de ses dons qui en font le rayonnement. Et si Marie est si belle, c'est qu'elle est la transparence par laquelle Dieu se laisse percevoir. Cette réceptivité totale à la grâce fait de Marie ce cristal qui laisse transparaître toute la beauté infinie de Dieu.

Gâtée de Dieu, privilégiée par excellence, Marie reste pourtant une femme comme les autres, totalement solidaire de toute l'hu­manité.

Marie est une femme de chez nous :

Elle n'est pas une météorite a fortiori la quatrième personne de la Ste Trinité, comme la dévotion de certains aurait pu laisser croire.

Elle est une femme du peuple, une femme toute ordinaire, indiscernable des autres, tellement indiscernable que les gens de Nazareth n'ont jamais su la chance qu'ils avaient d'avoir dans leurs murs la femme qui sera un jour la plus connue du monde. Marie est la ménagère du petit matin : retrouver Marie en tablier redonnant toute dignité aux humbles tâches quotidiennes. Notre-Dame des tâches monotones, des lessives sans fin, des nuits sans repos...

Marie, la priviligiée est d'abord Marie-l'humilité :

Tous ces dons, elle les reçoit de Dieu. Tous ces dons, elle les a reçus pour être la Mère de son Fils : elle est centrée sur Lui, qui est sa raison d'être profonde.

La fête de l'Immaculée Conception est pour nous occasion de nombreuses réfléxions pour notre vie de tous les jours, en nous donnant notamment un optimisme enthousiaste.

D'abord Marie nous donne le profil de notre propre réussite : en elle, toute l'humanité a trouvé sa revanche sur le péché. En elle, toute l'humanité a retrouvé sa beauté. Comme Marie, chacun de nous a été choisi, voulu d'avance pour recevoir à son tour la grâce de se tourner vers son Créateur.

Nous savons maintenant et surtout, que la grâce nous est offerte, mais dans la mesure où nous sommes ces simples que Dieu aime tant. Vides de nous-mêmes, nous devenons plus facile­ment récepteurs à ses appels. Comme on demandait au théolo­gien, le P. Martelet si d'un mot, il devait dire ce que cela engage de croire en l'Immaculée Conception pour un chrétien de ce siècle, il répondit : Ce que cela a toujours engagé ! Une simplicité du coeur pour accueillir Dieu.