Conférence de Jean-Marc NESME , maire de Paray-le-Monial

Texte établi d'après les notes de Jean-Marc NESME

Il m'a été demandé de traiter pour cette conférence, de l’engagement dans la cité. Je m'inspire pour cette conférence du livre que je viens d’éditer et qui a pour titre : « Maire pour mon père ».  Il fait 400 pages et vous avez pu trouver à votre place des flyers et un bon de commande si vous souhaitez l'acheter et me faire part de vos observations après l'avoir lu.

"Il est très rare dans le monde politique qu'un élu se dise chrétien et qu'il l'affiche ouvertement dans ses paroles, dans ses actes et dans ses décisions.
Il est tout aussi rare que les électeurs, dans leur majorité, ne lui en tiennent pas rigueur en le reconduisant dans ses mandats nationaux, régionaux et communaux.
Il est étonnant qu'un élu chrétien prenne le risque de la critique en publiant ses témoignages.
En ces temps où le politiquement correct et la pensée unique envahissent le champ politique et les médias, il est étonnant qu'un élu chrétien fasse part de sa colère face à l'évolution d'une société qui perd ses repères, qui renie son Histoire et qui dénie ses racines chrétiennes.
Regarder sa ville et sa province comme l'intérieur de sa maison est une philosophie utile dans l'engagement de la cité pour sortir de la torpeur ambiante.
Ce carnet de route est à la fois pessimiste mais aussi optimiste car il conjugue le passé, le présent et le futur.
Emmanuel Kant écrivait : "La tâche propre de l'entendement est de connaître ce qui est, celle de la raison de dicter ce qui doit être.La faculté de juger est la troisième faculté de connaître, supérieure, c'est à dire autonome". 
Jean-Marc Nesme, licencié en Droit et diplômé de Sciences Politiques de l'Université de Lyon, est maire de Paray-le-Monial depuis 1989 et il a exercé quatre mandats à l'Assemblée Nationale et trois mandats au Conseil Régional de Bourgogne."

 

 

C'est un livre de témoignages sur ma vie publique, sur mon engagement dans la cité, à l'Assemblée nationale où j'ai siégé 20 ans (4 mandats) et dans ma ville de Paray-le-Monial où je termine mon cinquième mandat de maire, en ayant siégé entretemps pendant 3 mandats au conseil régional de Bourgogne.

En écrivant ce livre, je me posais sans doute, sans le savoir, les questions de fond d'un engagement dans la cité, les bases fondamentales de cet engagement. Le corpus d'idées qui m'a guidé, les enseignements sur lesquelles je me suis appuyé, ce que je souhaitais, c'est de montrer que nous avons dans le Nouveau Testament et chez certains Pères de l'Eglise, si nous faisons l'effort de les lire, ou de les relire, des éléments qui fondent l’engagement civique des chrétiens : à la fois comme une exigence et comme une possibilité.

Une exigence, parce que vous allez le voir, il y a des commandements qui sont donnés, et une possibilité, parce que c'est un espace propre à la réflexion et à l'action politique qui sont ouverts et qui sont garantis par le message chrétien.

Dans l’évangile selon saint Jean : « Alors, Jésus sachant qu'ils allaient venir s'emparer de lui pour le faire roi, s'enfuit dans la montagne tout seul ».

Cette attitude de Jésus libère le champ politique pour ses disciples de l'époque comme pour les premiers chrétiens et pour les chrétiens de toutes les générations. Jésus évite la confusion entre le politique et le religieux. C'est comme s'il disait : « Inspirez-vous de moi et répandez autour de vous la bonne parole par vos mots et par vos actes. »

Dans l’évangile selon saint Matthieu : « Alors les pharisiens allèrent tenir conseil afin de le prendre au piège en le faisant parler. Il disait à Jésus : « Dis-nous ton avis : est-il permis oui ou non de payer le tribut de l'impôt à César ? Jésus répond : « Rendez les choses de César à César et les choses de Dieu à Dieu ». C'est le fameux « rendez à César ».

Ce texte peut être lu comme un texte traçant une philosophie politique dans une perspective anthropologique.

De tous les commandements, quel est le plus important, celui dont tous les autres dépendent ?

Selon saint Matthieu, Jésus a répondu en citant à égalité deux commandements inséparables l'un de l'autre : « Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton esprit, et tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Saint Augustin, de ces commandements, veut tirer une philosophie complète : « Il y a là une physique, il y a là une éthique, il y a là une logique. Mais il y a en plus une quatrième partie : « Le salut d'une République digne d'éloges ».

Saint Augustin va très loin. Il présente les deux commandements de l'amour de Dieu et de l'amour du prochain comme ce qui permet à une « res publica » de tenir debout, à un état de parvenir à la prospérité et la grandeur.

Il me semble que nous sommes amenés en tant que chrétien l’engagement, peut-être plus que jamais. Il nous faut donc savoir confrontés les textes de notre tradition avec notre réflexion sur l'actualité que nous sommes en train de vivre.

Ce qui est préoccupant, c'est la perte des repères anthropologiques qui relève probablement de la phase terminale d'un processus de déchristianisation avant un grand et large renouveau. La morale laïque s'essouffle, parce que les influences chrétiennes de la vie quotidienne sont devenues marginales. Or, le christianisme, pendant 2000 ans, à imprégner notre droit, notre littérature, nos arts, notre peinture, notre sculpture, notre musique. Il fait partie de notre héritage et il sera, dans le cadre de ce renouveau dont je parlais à l'instant, la force fondamentale, enracinée, vivante, accueillante de nouvelle source de vie - individuelle et civique dans la cité – au-delà des turpitudes traversées par l'Eglise actuellement. Il y a un espoir, une espérance, la petite fille espérance dont parlait Charles Péguy.

Jean-Marc Salamito, historien de l'Antiquité chrétienne : « Les premiers écrits chrétiens » aux éditions de la Pléiade, a écrit : « Il y a un risque pour les chrétiens, c'est de se transformer en militants purs et durs. Faire l'apologie de l’engagement du chrétien, c'est dire, c'est affirmer que celui-ci a son domaine propre : son domaine de citoyen, son domaine d'action politique et sociale illuminée par la morale chrétienne, un domaine où l'Eglise et la Tradition chrétienne se laissent libre de prendre conscience des responsabilités. Mais le risque existe pour le chrétien de sacrifier sa vie spirituelle à une espèce de militantisme jusqu'au-boutiste.

Il y a aussi dans une partie du catholicisme français d'aujourd'hui ce que j'appelle le syndrome constantinien. Certains chrétiens attendent qu'un homme politique prenne les choses en main, que les problèmes soient résolus en partant du haut. Or, il faut un peuple chrétien pour obtenir un Constantin. L'Eglise ne gagne pas le cœur par les institutions mais bien plutôt les institutions par le cœur.  

Il y a aujourd'hui des personnes qui aimeraient bien le processus inverse. Je me permets de leur répondre cette formule très simple : l'enjeu n'est pas un pouvoir à prendre, mais un service à rendre. C'est le civisme chrétien, la contribution de la morale chrétienne à la vie sociale et civique. Il existe un apport des chrétiens à la vie de toute la cité : « Leurs mœurs, leurs attitudes, leurs comportements, font mieux que les lois. L'exemplarité est à coup sûr, un vecteur puissant dans l’engagement dans la cité.

 

Le bien commun.

 

Il consiste au fond, à rassembler les conditions qui permettront aux citoyens de s'épanouir, qui permettront à l'homme de devenir plus homme, plus humain, de développer l’humanité, ses humanités, et donc de développer son être. Grâce au bonheur collectif de la cité, la personne peut atteindre son bonheur propre. Dans une cité organiquement constituée vraiment solidaire, le bonheur en tout conduira au bonheur de chacun de ses membres.

 

Le principe de subsidiarité.

 

Il consiste à réserver à ceux qui sont en dessous de lui une part d'initiative. Le principe de subsidiarité consiste à réserver uniquement à l'échelon supérieur ce que l'échelon inférieur saurait faire de manière moins efficace. Il faut savoir déléguer mais aussi responsabiliser.

Le pouvoir est conçu comme un service ; le pouvoir n'est pas une fin en soi et pour soi.

 

Devenir pleinement un être de relation et grandir en humanité.

 

L'anthropologie révèle la place de la relation. Posée sur le caractère unique de chaque personne et la dimension de l'altérité. La différence fait partie de la richesse de l'homme. C'est un être pensant, mais aussi fragile et vulnérable, en lien avec sa finitude. Pascal écrivait : « L'homme est grand en ce qu'il se connaît misérable ». Goethe disait : « Je suis les liens que je tisse ».

Cette notion de communion de personnes a un sens particulier pour les chrétiens, mais peut prendre un sens très universel. La communion des personnes, c'est s'accorder comme au sein d'un orchestre. Les instruments sont différents, les musiciens ont des expressions très personnelles, et sont différents, mais l'accord peut être parfait. L'harmonie nécessite la bonne distance entre les notes, chacune devant trouver son espace.

 

Dans la vie de la cité, il y a trois grandes tentations d'après Xavier Thèvenot, théologien moraliste, prêtre salésien décédé en 2004 :

- La tentation de l'indifférenciation qui s’oppose à l'altérité et la promotion de l'autre. L'altérité, c’est reconnaître que l'autre est distinct de nous, différent et unique comme nous le sommes aussi.

- La tentation d'un monde sans faille qui mène à l'incapacité d’accepter l'échec, la mort, de vivre en humilité et de prendre patience avec ses limites.

- La tentation de la toute-puissance qui conduit au refus de vivre dans le réel. Cela conduit à nier les dépendances et à vivre dans l'illusion qu'on peut toujours tout maîtriser.

 

La bienveillance avec nous-mêmes. Elle est liée à l'estime de soi. Elle implique d'être en vérité avec nous même, de chercher à mieux nous connaître, de mieux nous positionner par rapport aux autres.

La bienveillance avec les autres. Elle passe par un regard plein de confiance, de lucidité, qui mène à l’exigence, et de miséricorde. Le visage de l'autre doit être accueilli comme sens, comme mystère de la personne dans sa pauvreté, dans son dénuement, dans son mystère. « Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard du Petit Prince de Saint-Exupéry, mais tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé ».

La sollicitude. C'est prendre soin de l'autre avec affection. « Personne ne bouge, ne grandit, ne se responsabilise, tant qu'on le soupçonne systématiquement du pire et que l'on ne s’attend à rien de bon de sa part » dit Eric Lemaître.

 

Démocratie

 

Jusqu'au début du 20ème siècle en France, le cléricalisme entrainait inéluctablement l'anticléricalisme en plus dur.  Il convenait donc, pour l'Eglise catholique, de tenter de « prendre en main les libertés modernes » comme le disait Tocqueville, ce qu'elle a progressivement accepté de faire, jusqu'au parachèvement (théorique encore) de Vatican II.  Dans cette évolution, face à une démocratie pluraliste désormais acceptée comme telle par l’Eglise, il ne s'agit pas pour autant de céder au relativisme ambiant, selon lequel « tout se vaut » que Benoît XVI et le pape François ne cessent de dénoncer. L'apport des religions et de la religion catholique doit être réaffirmée.

La laïcité soulève une question essentielle : celle des valeurs sur lesquelles repose la société, sur les valeurs communes à tous, indépendamment des croyances. La question est de savoir si ce relativisme des valeurs auquel nous assistons aujourd'hui, fait partie intégrante de la démocratie en tant que système, ou si au contraire, celle-ci doit être ouverte à des valeurs transcendantes.

Deux conceptions de la démocratie s’offrent :

1°) l'une prend sa raison d'être elle-même la loi de la majorité.

2°) l'autre la prend d’une instance transcendante, tout en respectant le pluralisme religieux et politique, et en évitant le relativisme éthique.

 

* discussion entre Habermas, philosophe rationaliste athée et le pape Benoît XVI à Munich dans laquelle ils se rejoignent sur la nécessité de recourir à des valeurs pré-politiques, soustraites à la loi de la majorité ; ou encore au « paradoxe » de Böckenförde, juge constitutionnaliste allemand qui concluait que l'Etat sécularisé vie sur la base de présupposés qu’il n'est pas capable de garantir, les présupposés transcendants.

 

* Jean-Paul II dans Centesimus annus, déclarait : « Une démocratie sans valeurs, se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois comme le montre l'histoire ». Benoît XVI a mis en évidence cette conception.

 

Travail

 

 

Jean-Paul II a consacré deux de ses encycliques au travail et à l'entreprise : Laborem exercens en 1981 et Centesimus annus dix ans plus tard. Il y développe en particulier deux idées : « La caractéristique du travail est avant tout d'unir les hommes et c'est en cela que consiste sa force sociale, la force de construire une communauté ».

« Le développement intégral de la personne dans le travail ne contredit pas, mais favorise plutôt une meilleure productivité et une meilleure efficacité du travail lui-même ».

En résumé, l'entreprise a sa légitimité parce que c'est une communauté et quand les personnes sont développées intégralement dans leur travail, l'entreprise est plus efficace ».

 

J'ai tenté de traduire dans mon engagement dans la cité ces idées forces :

- en créant deux parcs d'activité économique de 120 hectares et en favorisant l'implantation de plus de 90 entreprises.

- en créant et en exploitant 4 sociétés anonymes d'économie mixte (capital public plus capital privé) pour pallier une défaillance de l'action publique seule dans des domaines que je considérais comme essentiel pour le développement territorial en faveur du bien commun.

- en créant 13 usines-relais, construites par la ville, mise en location-vente à des entreprises pour aider à démarrer leur production sans avoir en charge le capital immobilier au départ.

 

Rapports de confiance : confiance de l'entrepreneur à l'égard de l'élu et confiance de l'élu à l'égard du chef d'entreprise. Exemple : Villa Médicis avec Hubert Rouy.

La subsidiarité : face à la concentration du pouvoir, la commune et les associations.

 

La démocratie a besoin de valeurs sûres, de valeurs éthiques fondamentales.

Benoît XVI parle de valeurs « non négociables ».

 

  1. La protection de la vie à toutes ses étapes du premier moment de sa conception jusqu'à sa mort naturelle.

Exemple : la révision des lois de bioéthique.

Exemple : la mission d'information sur la fin de vie (euthanasie)

Exemple : la construction d'un centre hospitalier, de 4 Ehpad et de 2 résidences seniors.

 

  1. La reconnaissance et la promotion de la structure naturelle de la famille comme union entre un homme et une femme fondée sur le mariage.

Exemple : entente parlementaire pour la défense de la famille composé d'un père et d'une mère.

 

  1. Le respect de la dignité transcendante de l'homme qui fait référence à sa dimension religieuse.

Exemple : défense de la dignité de l'enfant exploité par le tourisme sexuel. Mission d'information sur les droits de l'enfant.

Rome : organisation mondiale du tourisme.

 

  1. Le respect de la liberté religieuse et de sa vocation à transmettre des valeurs.

Exemple : la crèche à l'hôtel de ville de Paray-le-Monial.

Exemple : implantation de la communauté des servantes du Sacré-Coeur (Pologne) Exemple : accueil de la communauté de l'Emmanuel à Paray-le-Monial.

Exemple : musée municipal d’art sacré du Hiéron.

Exemple : rencontre avec Yasser Arafat et Tarek Aziz (chrétien chaldéen)

 

Rétrospectivement, après 20 ans à l'Assemblée Nationale, après 30 ans à la mairie de Paray-le-Monial, j'ai le sentiment que des messages forts, en harmonie avec mon éducation, avec ma conscience, ont été passés et qu’ils perdureront après moi. Le temps des idées et le temps de l'action sont des temps longs : transmission.

J'ai la profonde conviction qu’être chrétien en politique c'est un atout non seulement pour acquérir le pouvoir mais surtout pour servir le bien commun, issu d'une « alliance entre la foi et la raison ». Benoît XVI

En tant que maître juif, Jésus a été interrogé par un autre maître juif sur cette question rabbinique : De tous les commandements, quel est le plus important, celui dont tous les autres dépendent ? Selon saint Matthieu, Jésus a répondu en citant à égalité deux commandements inséparables l’un de l'autre : « Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton esprit. (Deutéronome) Tu aimeras ton prochain comme toi-même. (Lévitique).

 

René Girard : concepts de « désir mimétique » et de « bouc émissaire ».

 « Les évangiles sont une théorie de l'homme tout autant qu'une théorie de Dieu. Dans le déploiement des pensées modernes, les écritures Saintes seraient-elles les seules à tenir cela.

Doctrine sociale de l'Eglise : un corpus d’idées. Il y a toujours une anthropologie sous-jacente au libéralisme et une anthropologie sous-jacente au marxisme. Il y a toujours une anthropologie sous-jacente aux sciences sociales, et dès lors que cette donnée épistémologique est établie, il n'y a pas de d'obstacle intellectuel ou scientifique à utiliser l'anthropologie chrétienne comme sous-jacente à une démarche scientifique, sociale et civique.

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